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Trois ans après la mort de Mahsa Amini, les femmes ont conquis une liberté "irréversible"
#Iran #MahsaAmini #femmes
Article mis en ligne le 17 septembre 2025

Trois ans après la mort de Mahsa Amini, la société iranienne connaît des changements "irréversibles". Dans les rues de Téhéran comme dans les villes de provinces, les femmes s’affranchissent peu à peu du voile et des contraintes imposées, malgré une répression toujours présente.

Lorsqu’Ahmad est rentré au pays en mai dernier, il n’a pas reconnu l’aéroport imam Khomeini de Téhéran. Après 5 ans d’absence, dans le hall d’arrivée, la sœur de ce Franco-iranien l’attendait, un bouquet de fleurs à la main, chemisier blanc et foulard négligemment posé sur les épaules. À ses côtés, sa nièce, queue de cheval ajustée, ne portait pas du tout de voile. "Je me suis demandé si j’étais bien en Iran", confie Ahmad encore médusé. "En plus de l’émotion des retrouvailles, j’ai ressenti une l’inquiétude en les apercevant derrière la vitre du hall. J’ai eu peur qu’elles soient arrêtées, parce que l’aéroport reste un lieu sécuritaire et très surveillé. Mais en tournant la tête, j’ai aperçu d’autres femmes beaucoup moins couvertes qu’elles…".

Ces changements, Ahmad les a constatés jusque dans sa propre famille, même chez les plus traditionnels d’entre eux. Un beau-frère tolère désormais les tenues et les sorties de sa fille. Quant à sa sœur aînée, elle s’est permis d’abandonner le long manteau islamique pour une simple veste courte et un pantalon. (...)

La société iranienne a beaucoup changé ces dernières années, en particulier après les soulèvements qui ont suivi la mort de Mahsa Amini le16 septembre 2022, après son arrestation par la police des mœurs pour un foulard mal ajusté. "Il y a clairement eu un avant et un après, marqué par des transformations profondes, notamment dans les milieux urbains", affirme Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles. "Si la mort de Mahsa Amini et les manifestations qui ont suivi n’ont pas déclenché une révolution politique, elles ont marqué une révolution sociétale".

"Aujourd’hui, les femmes investissent l’espace public comme elles l’entendent. Elles ont conquis leur liberté", explique Azadeh Kian, sociologue et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (CEDREF) de l’université Paris Cité. "Et ce mouvement est irréversible".

Une accélération depuis la mort de Mahsa Amini

"C’est allé très vite ces trois dernières années", constate Sepideh*, quadragénaire téhéranaise, et mère de trois enfants dont une adolescente de 14 ans. L’Iran d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de son enfance, raconte la mère de famille (...)

"Les policiers détournent le regard"

"Dans le métro que je prends tous les jours pour aller au travail, je vois des mères en tchador et leurs filles en T-shirt et pantalon, mais aussi des groupes d’étudiantes, certaines voilées, d’autres pas, rire toutes ensemble. Les policiers les aperçoivent, lancent parfois une remarque agacée, puis détournent le regard", poursuit Sepideh.

Selon la sociologue Azadeh Kian, si les autorités iraniennes ont lâché du lest, c’est par crainte des réactions de la société. "Elles redoutent leur jeunesse, très mobilisée il y a trois ans lors du mouvement Femme, vie, liberté, mais aussi la solidarité sans précédent que ce soulèvement a fait naître. Une solidarité intergénérationnelle, qui s’est étendue jusqu’aux familles religieuses".

Pour autant, la loi reste discriminatoire à l’égard des femmes. Le Parlement iranien, dominé par les ultra conservateurs, a voté en décembre 2024 une série de mesures plus restrictives, notamment des amendes pouvant aller jusqu’à 20 mois de retenue de salaire pour celles qui sont mal ou non voilées en public, ou sur les réseaux sociaux. Une loi, baptisée "hijab et chasteté", que le président modéré Massoud Pezeshkian, bien qu’il dispose d’un pouvoir limité, a refusé d’appliquer.

Massoud Pezeshkian n’a pas pu prendre cette décision sans l’aval du guide suprême iranien, au centre du pouvoir, explique Azadeh Kian. "Pour moi le guide s’est rendu à l’évidence. L’Etat iranien est forcé de faire des concessions, car il doit faire face à des crises tous azimuts, sur le plan économique, politique et sécuritaire depuis la guerre des 12 jours contre Israël".
La politique d’intimidation reste en place

Pour autant, explique-t-elle, "la politique d’intimidation continue". "Si le régime ne peut pas mettre un policier derrière chaque femme, il continue d’arrêter les militantes des droits des femmes, celles qui militent pour un changement de fond en comble parce qu’il les considère comme une menace. Et celles qui sont libérées comme Sepideh Gholian ou Narges Mohammadi – en permission de sortie – vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête". (...)

Autre bastion immuable du pouvoir, rappelle la chercheuse : le Code civil. Les femmes y restent soumises à des règles profondément discriminatoires : elles ne reçoivent que la moitié d’un héritage, disposent de droits limités en matière de divorce… "Leur dernier bastion, c’est ce Code civil", estime Azadeh Kian. "À cela, ils ne toucheront pas".

En attendant, deux mondes coexistent et l’écart entre eux ne cesse de se creuser. "La société poursuit son chemin, elle mène sa vie indépendamment du pouvoir religieux", observe la chercheuse. (...)

Cette évolution se lit aussi dans le quotidien des femmes. Parfois, raconte Sepideh, la mère de famille quadragénaire, il lui arrive de se balader dans les beaux quartiers, juste pour observer les looks des jeunes : "Des chemises colorées sur des crop tops, des jupes longues, des cheveux teints en bleu, rouge ou violet… Elles ont l’air bien dans leur peau, et les femmes de mon âge les complimentent", se réjouit-telle. "Moi aussi j’ai changé. Il y a deux mois encore je gardais mon foulard sur les épaules lors de mes trajets pour aller au travail dans le centre de Téhéran. Mais là, j’ai passé une étape, il est au fond de mon sac maintenant. Je ne le mets que sur mon lieu de travail".

Sepideh reconnaît avoir longtemps redouté le regard des hommes avant d’ôter son voile : "Dans certains quartiers que je traverse, je craignais leurs remarques et le harcèlement. Mais je crois qu’ils se sont habitués". Aujourd’hui, dit-elle, elle se sent au contraire "en sécurité", même sans voile.
Des cours de danse mixtes, des femmes à moto

"La bravoure de la génération Z nous a donné du courage", confie à son tour Darya. Depuis l’époque de Khatami [1997-2005], je porte des foulards colorés. Peu à peu j’ai commencé à retirer le voile de plus en plus souvent. Mais après la mort de Mahsa Amini et de tous ces jeunes tués dans les manifestations, je n’ai plus jamais porté le voile dehors, même dans des lieux plus traditionnels, comme des cérémonies de deuil. Je ne suis pas prête à faire de concession". (...)

Les soulèvements du mouvement ’Femme, vie, liberté’ ont accéléré la tendance déjà présente, et surtout, l’ont étendue à tout le pays".

Les villes de province iranienne n’ont pas été épargnées par les mouvements de protestation. Après la mort de Mahsa Amini, originaire de la région du Kurdistan iranien, c’est de Saqqez, ville dont elle était originaire que se sont élevées les premières vagues de protestations. "Aujourd’hui", raconte Darya, "en province aussi les filles ont laissé tomber le voile, mais pas partout. Dans la petite banlieue où vit ma famille près de Chiraz, elles sont moins nombreuses. Mais les regards ont changé et personne ne leur fait plus de remarques désobligeantes".

Les changements ne se limitent pas aux vêtements, témoignent ces Iraniennes. Bien qu’interdits, des cours de chants et de danses mixtes se multiplient. (...)