Après plus d’un an et demi de fermeture, les écoles de la deuxième plus grande ville du pays, située non loin du front et de la frontière septentrionale de l’Ukraine avec la Russie, rouvrent progressivement leurs portes. Afin de protéger élèves et enseignants, la municipalité a mis en place un programme d’aménagement et de construction d’écoles souterraines. Visite de l’une d’elles à Saltivka, le plus vaste arrondissement de la ville.
À l’abri des drones, des bombes et des missiles
Bienvenue dans l’une des écoles souterraines de Kharkiv, où 1 430 élèves suivent leurs cours à l’abri des bombardements aveugles qui, nuit et jour, s’abattent sur l’ancienne capitale du pays. « Cette école a ouvert le 1erseptembre », indique Natalia Vorobiova, chargée de la communication au sein du département de l’éducation de la mairie de Kharkiv. Calme, précise dans ses réponses, Natalia maîtrise parfaitement son sujet. C’est elle qui nous guidera dans cet établissement qui semble faire la fierté du conseil municipal.
Les chiffres, il est vrai, sont impressionnants. Ce complexe de 1 700 m² se situe « à plus de sept mètres sous terre et a été construit en seulement neuf mois », indique Natalia, au détour d’un long couloir orné des guirlandes et autres décorations de Noël. Ces murs protecteurs accueillent « des élèves de la 1ère à la 11e section [du CP à la terminale dans le système français, NDLR], dans 16 salles de classe », poursuit-t-elle, avant de pousser une porte.
À notre entrée, une vingtaine de gamins réagissent comme il se doit par un long « bonjooour » et, politesse oblige, se lèvent de leur siège avec un grand sourire aux lèvres. Leur regard interrogateur cherche à percer la raison de cette soudaine intrusion. « C’est une leçon de mathématiques », indique l’enseignante, en désignant le tableau interactif, flambant neuf, tout comme le reste du mobilier. On ne s’impose pas plus longtemps.
Anticipation et organisation
Pour garantir une parfaite autonomie de l’école souterraine, rien n’a été négligé. Porte après porte, on découvre une infirmerie, un système de pompage d’eau, des citernes… Un groupe électrogène et une communication Internet autonome complètent cette organisation méthodique aux airs de ligne Maginot.
La construction de l’école a été rigoureusement encadrée par les services de l’État. (...)
Afin de garantir l’accès à l’établissement à tous les élèves du quartier, poursuit Serhiy Makeïev, le directeur de l’école qui nous rejoint en cours de visite, « le fonctionnement des cours est organisé en deux sessions quotidiennes : une partie des élèves fréquente l’école de 8 h 30 à 13 heures ; une autre de 13 heures à 16 heures. » Grâce à ce roulement, les enfants du quartier ont pu reprendre une partie de leur éducation en présentiel. Les locaux ne sont pas suffisamment vastes pour assurer un accès permanent à l’école pour chaque enfant du quartier. (...)
Retour en classe plébiscité (...)
Pour cause, la pratique de l’enseignement en ligne, certes commode en cas de situation extrême, a montré ses limites ; en termes d’efficacité pédagogique mais aussi d’un point de vue social. « Certains élèves, à force de rester chez eux, ne savaient plus comment se comporter en société ; mais depuis la reprise des cours [en présentiel], nous voyons que la situation s’améliore », assure Olga, confiante dans ces progrès.
Le programme de la ville n’en est pas à son premier essai ; et la perspective d’envoyer ses enfants étudier sous terre serait désormais bien acceptée, à Saltivka comme ailleurs. Les premières écoles souterraines, rappelle Natalia, ont ouvert dès septembre 2023, dans des stations de métro fermées pour l’occasion. « Au cours des premiers jours, se souvient-elle, il a fallu rassurer les parents quant à la résistance de ces installations ; mais après une semaine, ils ont été convaincus. »
Interrogés sur les limites que pourrait imposer ce confinement souterrain, les deux enseignantes se montrent rassurantes. Ici, explique Anna, il est « possible de faire cours normalement ». Seul écueil, les activités de plein air demeurent impossibles. (...)
Dissiper les brumes de guerre
La visite reprend. Natalia ouvre une autre porte. Quelques élèves d’une dizaine d’années se retournent ; les autres demeurent concentrés. « Ici, on propose aux élèves des séances de relaxation », indique-t-elle, en saluant la psychologue. À une vingtaine de kilomètres du front, un tel soutien s’avère précieux pour les enfants (...)
L’association ukrainienne Initiative éclairée (Osvitchena Initsiatyva) et l’association allemande GIZ ont contribué à l’ameublement des classes, et l’Assistance de l’Église de Finlande (Finn Church Aid) au financement des sessions de soutien psychologique aux élèves ; le gouvernement japonais a financé l’acquisition de bus scolaires, tandis que la ville a signé un partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance et reçoit l’aide du Programme alimentaire mondial pour financer des repas des élèves. Grâce à ce soutien, affirme Natalia, « toutes les conditions sont réunies pour fournir une éducation inclusive aux enfants ».
Par ailleurs, ajoute la communicante, la coopération entre les villes de Kharkiv et de Lille se poursuit, dans le cadre du jumelage qui unit les deux métropoles depuis 1978. C’est ainsi, précise-t-elle, que quatre groupes d’enfants ont été envoyés dans la capitale des Hauts-de-France entre avril 2024 et août 2025, pour participer à ce que la mairie de la métropole française qualifie de « séjours de répit ».
Selon Natalia, le projet des écoles souterraines de la mairie de Kharkiv fait aujourd’hui figure de modèle en Ukraine. « On construit des écoles de ce genre à Zaporijjia et à Mykolaïv. Les maires des villes situées à proximité du front sont venus nous rencontrer, car la première école souterraine [d’Ukraine] a été ouverte à Kharkiv à l’initiative du maire, Ihor Terekhov. Nous avons partagé notre expérience avec eux. » Au cours de l’année à venir, conclut-elle, la mairie de la ville souhaite relever un nouveau défi : ouvrir « la première école maternelle souterraine d’Ukraine. » (...)
Kharkiv manque encore d’écoles
En dehors de l’école que nous visitons, indique Natalia, six autres ont été construites sous terre. Les premières écoles souterraines, installées dans des stations de métro dès 2023, existent toujours et une nouvelle station a été convertie depuis. Enfants et adolescents sont également accueillis dans des locaux préexistants qui disposent d’abris en béton appropriés. (...)