
Ces deux dernières années, plus de 350 personnes ont été condamnées pour apologie du terrorisme. Certaines enquêtes visent des militants politiques, associatifs ou syndicaux engagés pour la cause palestinienne, qui dénoncent une « instrumentalisation » de la justice.
Les attaques du 7-Octobre ont débouché sur une démonstration d’intransigeance de l’exécutif français. Pendant que Gérald Darmanin (alors ministre de l’intérieur) prétendait interdire toute manifestation propalestinienne (s’attirant un recadrage salutaire du Conseil d’État), Éric Dupond-Moretti donnait des consignes strictes aux procureurs.
Dès le 10 octobre 2023, une circulaire du garde des Sceaux les appelait à apporter « une réponse pénale ferme et rapide » aux actes antisémites, mais aussi à l’apologie du terrorisme, qu’il définissait comme « la tenue publique de propos vantant les attaques [du 7 octobre 2023], en les présentant comme une légitime résistance à Israël, ou la diffusion publique de messages incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas ou le Jihad islamique, en raison des attaques qu’ils ont organisées ».
Les signalements à la justice se sont alors multipliés, qu’ils émanent des autorités – notamment des préfectures, voire de Gérald Darmanin lui-même – ou d’associations de lutte contre l’antisémitisme promptes à saisir les parquets. Ces derniers ont presque systématiquement ouvert des enquêtes. (...)
Deux ans après, les derniers chiffres du ministère de la justice témoignent d’une réelle augmentation des condamnations pour apologie du terrorisme, bien qu’il s’agisse de très petits volumes – environ 200 condamnations par an, alors que plus de 500 000 personnes sont condamnées chaque année en France – et d’un allongement continu des peines de prison prononcées, ferme ou avec sursis.
Des députées LFI sous enquête
Si l’incrimination d’apologie du terrorisme fait autant couler d’encre, c’est que plusieurs responsables politiques de premier plan ont été visé·es par des enquêtes après le 7-Octobre. C’est le cas des députées La France insoumise (LFI) Mathilde Panot et Danièle Obono, qui ont toutes deux bénéficié de classements sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée » début 2025, quelques mois après avoir été entendues par les services de police. (...)
Le NPA, Révolution permanente et la CGT (...)
Rares sont les enquêtes visant des militantes et militants politiques, syndicaux ou associatifs qui sont allées jusqu’à un procès. Le cas de Jean-Paul Delescaut, condamné à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme en avril 2024, semble même unique. Le secrétaire général de la CGT du Nord était poursuivi devant le tribunal correctionnel de Lille pour un tract publié sur le site de l’union départementale le 10 octobre 2023, dans lequel il était écrit : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre 2023], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. »
Retiré du site internet, le tract avait été remplacé par une version « confédérale » corrigée, trois jours plus tard. Mais après un signalement du préfet Georges-François Leclerc, le syndicaliste avait été interpellé chez lui, à 6 heures du matin, par des policiers cagoulés, lors d’une « opération politico-judiciaire » dénoncée par la CGT du Nord. Soutenu par de nombreuses personnalités syndicales et associatives, Jean-Paul Delescaut a fait appel de sa condamnation. Il attend encore la date de son deuxième procès, qui doit se tenir à Douai. (...)
Le cheminot et syndicaliste Anasse Kazib, porte-parole du microparti trotskiste Révolution permanente, doit quant à lui être jugé le 25 juin 2026 pour apologie du terrorisme. Il lui est notamment reproché d’avoir soutenu la « résistance palestinienne » face à Israël, qualifié d’« État sanguinaire », le 7 octobre 2023.
Son avocate, Elsa Marcel (elle-même membre de Révolution permanente), défend d’autres militantes et militants politiques et associatifs poursuivis pour apologie du terrorisme depuis cette date. La plus connue est Olivia Zémor, présidente d’Europalestine, qui doit comparaître en février 2026 pour deux articles datés des 7 et 8 octobre 2023.
L’avocate déplore un climat de « persécution judiciaire » et de « délation » entretenu par « des élus Les Républicains » et « des organisations très proches de l’extrême droite qui retweetent Éric Zemmour, relaient la propagande de guerre israélienne et ciblent des personnalités de gauche ». Elsa Marcel fait référence à Jeunesse française juive, l’association créée le 7 octobre 2023 qui a porté plainte contre Anasse Kazib.
Au-delà des poursuites pénales, Elsa Marcel estime que le « poids de la répression » observée en France, de « la dissolution d’Urgence Palestine » aux « procédures disciplinaires dans les universités », empêche le mouvement de soutien au peuple palestinien de « se déployer comme en Italie ou en Espagne ».
Perquisition et comptes bancaires fermés (...)
L’Union juive française pour la paix (UJFP), association juive antisioniste, a elle aussi été visée par des plaintes de l’association Jeunesse française juive pour deux communiqués des 7 et 12 octobre 2023. Elle y affirmait notamment son soutien à « la résistance du peuple palestinien face à l’occupation ». (...)
L’association a par ailleurs vu ses comptes bancaires fermés par le Crédit coopératif, tandis que l’enquête judiciaire se poursuit.
Devant un tribunal, le contexte des propos et la capacité de leur auteur à argumenter peuvent bien entendu changer la donne. L’islamologue François Burgat a lui aussi été poursuivi pour apologie du terrorisme, après des propos certes provocateurs mais fondés sur une réelle connaissance du conflit israélo-palestinien. Jugé au tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence, il a été relaxé contre l’avis du parquet.
Dans un autre registre, le cas d’Ismaël Boudjekada, à la fois élu municipal (aujourd’hui inéligible) et influenceur, est assez troublant. Condamné une première fois pour apologie du terrorisme en juin 2024 – il avait qualifié le Hamas d’« organisation de résistants palestiniens » –, il s’était défendu pied à pied au tribunal, sans convaincre.
Il doit de nouveau être jugé fin octobre pour « doxxing », c’est-à-dire la divulgation d’informations personnelles exposant autrui à des risques pour sa personne, mais aussi pour avoir commis le délit d’apologie du terrorisme en six autres occasions sur les réseaux sociaux. (...)
Un délit sorti de son contexte
Jusqu’à la loi Cazeneuve du 13 novembre 2014, l’apologie du terrorisme était encadrée par la loi historique de 1881 sur la liberté de la presse. Parce qu’elle faisait partie des infractions en lien avec la liberté d’expression (comme la diffamation et l’injure), elle obéissait à des règles de procédure contraignantes, avec une prescription rapide, et elle était très peu poursuivie.
Depuis que ce délit est réprimé par le Code pénal, offrant la possibilité nouvelle d’une garde à vue suivie d’une comparution immédiate, plusieurs centaines de personnes sont condamnées chaque année.