Loïc est prof d’histoire et de français, contractuel, dans un lycée pro des quartiers Nord de Marseille. Chaque mois, il raconte ses tribulations au sein d’une institution toute pétée. Entre sa classe et la salle des profs, face à sa hiérarchie ou devant ses élèves, il se demande : où est-ce qu’on s’est planté ?
Dernière semaine avant les vacances. La timide ambiance révolutionnaire du mois de septembre est retombée comme un soufflet. Aux dernières semaines d’été, entrecoupées par les grèves, se succèdent les longues journées d’automne, à regarder tomber les feuilles depuis la salle de classe. Sur les chaises, dès le matin, certains gigotent, pressés que la Toussaint arrive. D’autres n’attendent même plus cinq minutes pour écraser leur tête sur la table et récupérer les heures de sommeil manquantes. « Vous savez que je dors pas vraiment monsieur ! J’écoute en dormant, j’enregistre mieux ! » ironise l’un d’eux. Je n’ai plus l’énergie de la rentrée pour les réveiller, moi aussi je comate. « En vrai monsieur cette dernière semaine elle passe lentemeeeeennt », geint un élève.
Alors que le temps s’étire pour tout le monde, je décide qu’on étudie un ouvrage à propos. Dans son roman À la ligne (La Table Ronde, 2019), Joseph Pontus raconte, sous forme de versets, son expérience d’ouvrier intérimaire dans une usine où il dépote des crevettes. Il y écrit « l’usine est/plus qu’autre chose/un rapport au temps/qui ne passe/qui ne passe pas/Éviter de trop regarder l’horloge/rien ne change des journées précédentes ». Un des élèves endormis entre-ouvre l’œil « Monsieur, c’est pareil qu’en classe, l’usine ! et pointe l’horloge au-dessus du tableau, Faut pas trop la regarder ! » Les autres acquiescent : « Monsieur l’ennui c’est horrible, ya pas pire, je pense qu’à rentrer chez moi toute la journée », confie un autre que je vois souvent le regard dans le vide, comme anesthésié.
La lecture continue : « Tu rentres/Tu zones/Tu comates/Tu penses déjà à l’heure qu’il faudra mettre sur ton réveil/Peu importe l’heure/Il sera toujours trop tôt ». Ici, comme à l’usine, l’ennui et la fatigue n’empêchent pas l’anxiété. « Ça fait flipper, même quand on est chez nous l’école est dans notre tête, même pendant notre temps libre », analyse le même élève le regard grave. Et la séance prend les airs d’une thérapie collective : « C’est vrai ! Et du coup ça génère du stress, t’y penses tout le temps ! » renchérit un autre. J’en profite pour rappeler que c’est pareil pour les profs : « Même si on passe moins de temps que vous en classe, on stresse aussi, et je me lâche, Moi aussi j’en peux plus de ces salles toutes blanches ! »
Plus personne ne dort. La discussion glisse du manque de compréhension des parents aux dénigrements et aux pressions de certains profs, pour retomber sur l’usine où ils vont parfois faire des stages (...)