
L’année 2015 est considérée comme un tournant pour la politique migratoire et d’asile de l’Union européenne, en particulier en Allemagne. Alors que des centaines de milliers de personnes en quête d’une protection arrivaient dans le pays, une série d’événements et de décisions politiques allaient redéfinir durablement la société allemande et sa position sur la migration.
Il y a dix ans, l’Europe et l’Allemagne vivaient ce qui sera appelé "l’été des réfugiés".
InfoMigrants revient sur les moments forts de cette année 2015 qui a remodelé le débat sur la migration dans le pays.
18-19 avril : catastrophe au large de la Sicile
Un chalutier transportant des centaines de migrants fait naufrage en mer Méditerranée entre la Libye et la Sicile. Près de 800 personnes meurent. Seules une trentaine de personnes survivent. Cette tragédie, l’une des pires survenues en mer Méditerranée depuis des décennies, choque l’Europe et incite l’UE à renforcer sa présence navale au large de la Libye.
15 juillet : Reem Sahwil et le faux pas d’Angela Merkel
Lors d’un échange dans une école dans la ville allemande de Rostock, l’étudiante palestinienne Reem Sahwil décrit à Angela Merkel, la chancelière de l’époque, le statut de résidence précaire de sa famille vivant en Allemagne. Angela Merkel répond que l’Allemagne n’est pas en mesure d’accueillir tout le monde, puis réconforte maladroitement l’adolescente en larmes. Les critiques l’accusent d’être insensible. (...)
25 août : suspension des règles de Dublin pour les Syriens
L’Allemagne annonce que les Syriens ne seront plus renvoyés vers le pays par lequel ils sont arrivés sur le sol de l’UE, comme le prévoit le règlement de Dublin. Leurs demandes d’asile seront désormais traitées en Allemagne. (...)
26 août : Heidenau et Parndorf
À Heidenau, dans la région de Saxe, dans l’est de l’Allemagne, des extrémistes de droite attaquent un centre d’accueil pour réfugiés. Angela Merkel se rend sur place et est chahutée par des manifestants.
Le même jour, la police autrichienne découvre 71 migrants morts par asphyxie dans un camion frigorifique sur l’autoroute A4 près de Parndorf.
31 août : "Wir schaffen das"
Lors de sa conférence de presse estivale à Berlin, Angela Merkel commente l’afflux de réfugiés sur le sol allemand et prononce la phrase qui définira son mandat de chancelière : "Wir schaffen das", que l’on peut traduire par "Nous allons y arriver". (...)
2 septembre : Alan Kurdi (...)
3 septembre : Viktor Orban critique la politique d’accueil allemande (...)
4-5 septembre : l’accueil des trains de migrants
L’Allemagne et l’Autriche acceptent d’accueillir des milliers de personnes bloquées en Hongrie. Lorsque les premiers trains arrivent à la gare centrale de Munich, des bénévoles attendent les passagers sur les quais avec de la nourriture, de l’eau, des jouets et des applaudissements. Beaucoup décrivent l’atmosphère comme euphorique et une expression puissante de la "Willkommenskultur", la culture d’accueil de l’Allemagne, à ce moment-là. Des chefs religieux, dont le cardinal Reinhard Marx et l’évêque Heinrich Bedford-Strohm, font partie de ceux qui accueillent personnellement les nouveaux arrivants. (...)
6 septembre : appel du pape François
Le pape François exhorte toutes les paroisses, monastères et institutions religieuses d’Europe à accueillir une famille de réfugiés en guise de "geste concret de charité".
13 septembre : retour des frontières
L’Allemagne rétablit les contrôles à la frontière autrichienne. Le principe de libre circulation de Schengen est suspendu, laissant présager des restrictions à plus long terme.
22 septembre : décision de l’UE sur la répartition des demandeurs d’asile
L’UE accepte de répartir 120 000 demandeurs d’asile provenant d’Italie et de Grèce entre les États membres de l’UE. Dans la pratique, seuls 33 000 d’entre eux sont relogés dans un autre pays. (...)
27 septembre : Joachim Gauck prône un retour au réalisme
Le président allemand Joachim Gauck déclare : "Nous voulons aider. Nous avons un grand cœur. Mais nos moyens sont limités" Ses propos reflètent une tension croissante au sein de la société allemande, qui tangue entre la "Willkommenskultur" et l’inquiétude grandissante de la population concernant l’intégration, le logement, la sécurité et les services sociaux.
9 octobre : premier vol de transfert au sein. de l’UE
À Rome, 20 Érythréens montent à bord d’un avion à destination de la Suède. Il s’agit du premier vol de transfert dans le cadre du programme de l’UE, mais le nombre de ces transferts reste faible. (...)
15 octobre : durcissement de la loi sur l’asile (...)
29 novembre : coopération UE-Turquie
L’UE et la Turquie parviennent à un accord sur une coopération plus étroite afin de réduire les passages irréguliers vers la Grèce. Ankara s’engage à renforcer les contrôles aux frontières et à reprendre les migrants qui entrent illégalement dans l’UE, en échange d’une aide de 3 milliards d’euros, des avancées vers les exemptions de visas et la réouverture des négociations d’adhésion à l’UE. (...)
7 décembre : les chiffres du BAMF (...)
11 décembre : le mot de l’année
La Société pour la langue allemande désigne "Flüchtlinge" (réfugiés) comme mot de l’année en Allemagne.
25-26 décembre : les incendies criminels pendant les fêtes de Noël
Un centre d’accueil pour réfugiés en construction est incendié à Schwäbisch Gmünd, dans le sud du Bade-Wurtemberg, tout comme deux maisons appartenant à des familles immigrées à Wallerstein, en Bavière.
Ces attaques font partie des 850 attaques perpétrées contre des centres d’accueil pour réfugiés en 2015, soit quatre fois plus qu’en 2014. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie a enregistré à elle seule 187 cas, soit six fois plus que l’année précédente. Les autorités mettent en garde contre la radicalisation croissante et la banalisation de la violence xénophobe. (...)
31 décembre / 1er janvier : réveillon du nouvel an à Cologne
Des agressions sexuelles et des vols près de la gare centrale de Cologne, largement imputés à des hommes d’origine nord-africaine, font la Une des journaux. Cet événement alimente les appels à accélérer les expulsions et à durcir les lois sur l’asile, renforçant ainsi les discours de l’extrême droite.
L’héritage de 2015
"L’été des réfugiés" laisse derrière lui un double héritage. D’un côté, des centaines de milliers de bénévoles, d’églises et d’ONG se sont mobilisés dans toute l’Allemagne, créant une vague de solidarité sans précédent, symbolisée par les foules en liesse à la gare centrale de Munich.
Mais 2015 a également fait ressurgir les tendances les plus sombres de la société : comme mentionnée précédemment, la police criminelle allemande a enregistré plus de 850 attaques contre des centres d’accueil de réfugiés, ainsi que des incidents quotidiens de violence xénophobe. (...)
Dix ans plus tard, le mot d’ordre "Wir schaffen das" de la chancelière Angela Merkel est devenu à la fois un cri de ralliement et un marqueur de rejet.
Alors que de nombreux réfugiés se sont progressivement installés, ont trouvé du travail et ont intégré les écoles et les programmes de formation, certains considèrent que cette politique d’ouverture a alimenté la montée rapide du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD).
Dix ans plus tard, l’héritage de 2015 reste un sujet de discussion qui divise. Il a remodelé la législation allemande sur l’asile, donné lieu à des accords comme celui conclu entre l’UE et la Turquie et a fait de la migration une ligne de fracture politique déterminante, même au-delà des frontières allemandes.