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Mediapart
La « narcoprison » de Gérald Darmanin connaît ses premiers mouvements collectifs
#Darmanin #narcoprison #repression #resistances
Article mis en ligne le 6 septembre 2025
dernière modification le 3 septembre 2025

Après avoir inondé les coursives d’un établissement qui se veut « étanche », les détenus de Vendin-le-Vieil ont lancé une grève de la faim pour protester contre les restrictions imposées à leurs proches. Toutes les conditions d’un bras de fer sont réunies.

Depuis l’ouverture du « quartier de lutte contre la criminalité organisée » (QLCO) de Vendin-le-Vieil, fin juillet, Gérald Darmanin répète que tout se passe comme prévu. Près d’une centaine de prisonniers triés sur le volet – 88 exactement – ont été transférés dans cette première « narcoprison » à la sécurité renforcée et aux conditions de détention drastiques.

Si le ministre de la justice se félicite d’avoir ressuscité les « quartiers de haute sécurité », supprimés par Robert Badinter en 1982 au nom de leur caractère « inhumain », il n’évoque jamais leur histoire faite de mutineries, de prises d’otages et d’évasions. Les incidents survenus ces derniers jours à Vendin-le-Vieil viennent rappeler cette règle simple : plus on prétend « mater » des prisonniers, plus on s’expose à ce qu’ils se révoltent.

La première alerte s’est produite mercredi 27 août, quand des détenus ont volontairement inondé leurs cellules et « trois coursives sur quatre » en laissant les robinets ouverts. Ces débordements (au sens propre), accompagnés de tapage, ont eu lieu trois nuits de suite. En réponse, l’administration pénitentiaire a coupé l’eau dans les cellules et distribué des bouteilles. (...)

« Une cinquantaine de détenus sont impliqués dans les incidents de “projection d’eau” », précise Sacha Straub-Kahn, porte-parole du ministère de la justice, indiquant que « les commissions de discipline se dérouleront à partir de jeudi », avec des sanctions pouvant aller jusqu’à quatorze jours de quartier disciplinaire ou un confinement en cellule.
1 200 kilomètres pour un parloir

Une nouvelle étape a été franchie lundi 1er septembre, avec la diffusion d’un communiqué annonçant le début d’une grève de la faim. Ce texte collectif est signé par le « super cartel de Vendin-le-Vieil » – une référence ironique à l’étiquette de « narcotrafiquants » collée aux détenus de cet établissement, et contestée par certains d’entre eux.

Selon ce communiqué, le « mouvement » des prisonniers « n’est pas dirigé contre les conditions de détention mais contre les conditions inhumaines imposées à [leurs] familles », qui en « paient le prix fort » : parloirs avec un hygiaphone empêchant tout contact physique (malgré un passage préalable par le portique à ondes millimétriques), limitation des appels téléphoniques « sur des créneaux restreints », accueil des familles par « des agents cagoulés censés les impressionner » et en « sous-effectif ».

« Votre rêve est de nous pousser à la violence », poursuivent les détenus, qui promettent : « Nous ne tomberons pas dans ce piège. Notre résistance sera pacifique mais déterminée. »

Croiser des surveillants cagoulés a particulièrement choqué Sandy*, 32 ans, épouse d’un homme transféré à Vendin-le-Vieil depuis début août. Son mari, auparavant incarcéré à Marseille et déjà placé à l’isolement de longue date, a été condamné à presque trente ans de prison pour complicité de meurtres en bande organisée.

La semaine dernière, Sandy a pris « quatre trains et un Uber » pour parcourir les 1 200 kilomètres qui les séparent, avec leur fils âgé de « moins de 2 ans ». Elle raconte que sur les trois parloirs de quarante-cinq minutes prévus en quelques jours, deux ont été annulés sans explication, l’obligeant à patienter avec son bébé dans l’Airbnb qu’elle avait loué pour son séjour.

« On ne l’a vu qu’une seule fois, dans des conditions affreuses », raconte la trentenaire. (...)

« Ils s’attendaient à quoi d’autre ? »

Comme un tiers des détenus transférés à Vendin-le-Vieil, le mari de Sandy a déposé un recours par l’intermédiaire de son avocate, sans succès. Il s’associe à la grève de la faim qui a commencé lundi. Malgré l’isolement renforcé imposé aux détenus, les promenades ont lieu par petits groupes (jusqu’à cinq personnes) et permettent un minimum de concertation. (...)

L’avocate May Sarah Vogelhut a deux clients à Vendin-le-Vieil. Depuis les premiers transferts « sans aucun débat contradictoire », elle fait partie de ceux qui dénoncent « l’absence d’accès à la formation et aux activités » mais aussi « les parloirs famille à travers la vitre, la gamelle dégueulasse, les plats périmés, le catalogue de cantine extrêmement restreint, l’impossibilité de vider sa poubelle tous les jours comme ailleurs ». (...)

Si Matthieu Quinquis regrette « cette politique de gros bras à la petite semaine », le président de l’OIP se dit surtout « préoccupé » par la réponse que le gouvernement et l’administration pénitentiaire apporteront aux mouvements collectifs. Craignant qu’ils ne « déploient la machine disciplinaire » pour « rajouter de la punition à la punition », il pense à l’avenir : « La semaine prochaine, Gérald Darmanin n’est potentiellement plus là, mais ces personnes resteront incarcérées dans ces conditions. »

Du côté des syndicats pénitentiaires, FO-Justice (qui soutenait de longue date la création de « narcoprisons »), a diffusé un communiqué martial le 29 août, jugeant ces premiers incidents « prévisibles » et appelant à « ne rien lâcher ». « Mis sous cloche et coupés du monde extérieur, ils finiront par rentrer dans le rang », promet le syndicat, qui conclut : « Nous avons l’habitude, ils se fatigueront avant nous ! »

En octobre, une centaine d’autres personnes doivent être incarcérées à Condé-sur-Sarthe (Orne), dans la deuxième « narcoprison » imaginée par Gérald Darmanin.