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Mediapart
Les eaux vives de Katherena Vermette
#eau #Manitoba
Article mis en ligne le 15 août 2025
dernière modification le 10 août 2025

Le recueil « Femme-rivière », de l’autrice canadienne Katherena Vermette, au-delà de l’éclairage qu’il apporte sur les Premières Nations du Manitoba hier et aujourd’hui, est l’occasion de réfléchir à l’élément aquatique, à ce qu’il fait résonner dans nos corps et dans nos langues.

(...) Katherena Vermette est une écrivaine canadienne de la Nation métisse de la rivière Rouge, laquelle prend naissance dans le nord des États-Unis et irrigue Winnipeg et son lac, dans le Manitoba. La rivière Rouge, indique l’autrice, est devenue un dépotoir, quelque chose que l’on tient pour acquis – une idée déjà présente dans le court métrage Cette rivière (2016) qu’elle a coréalisé. (...)

La rivière Rouge occupe la partie centrale du recueil de Katherena Vermette, Femme-rivière, où femme, nature et rivière se confondent, trop souvent entravées : « cette rivière est une femme / elle a été draguée / puis traînée ». Elle déborde, ses cheveux doivent être disciplinés, ses courbes rectifiées. Comme dans le livre d’Orsenna, le cours de la rivière et les veines du corps humain se confondent (il existe d’ailleurs au Canada la rivière Bloodvein) : « le courant / a tangué dans mon sang / le mouvement s’est rué / sous ma peau ». (...)

La dernière partie (« Une autre histoire ») éclaire l’histoire de la communauté métisse de la rivière Rouge, son héros Louis Riel, défenseur des droits autochtones au XIXe siècle. La rivière est inséparable de cette communauté : « mon sang est ici depuis toujours / aussi enraciné que la rivière ».

Rouge comme l’eau

La première partie de Femme-rivière reflète une visite à la Première Nation de Little Black River, celle de son partenaire. Un monde différent mais accueillant comme une famille (...)

Courants, humains et mots charrient des histoires. Comme l’écrit Erik Orsenna : « Toute circulation est un récit, et qui peut vivre sans histoires ? » (...)

Le mot français draguer, avec ses deux sens, renforce la métaphore de la femme rivière, compensant en quelque sorte ce qui se perd dans la traduction de riverlocks, car lock peut signifier écluse ou mèche de cheveux.

Femme-rivière fait de la rivière un personnage à part entière. Elle est sujette aux débordements et ses eaux imprévisibles peuvent précipiter la noyade ; les communautés des Premières Nations signalent régulièrement des disparitions que la police ne prend pas au sérieux, si bien qu’elles ont créé leur propre groupe d’intervention en bateau pour tenter de retrouver les corps (« Drag the Red »). C’est l’objet du court métrage documentaire Cette rivière que Katherena Vermette a coréalisé.

L’eau est une question de vie ou de mort. La poésie de Katherena Vermette est proche de celle de Natalie Diaz, particulièrement son poème La première eau, c’est le corps. (...)

Katherena Vermette, Femme-rivière, traduit de l’anglais (Canada) par Rose Després, éditions Dépaysage, 128 pages, 14 euros ;

Erik Orsenna, Ces fleuves qui coulent en nous, Julliard, 2025 ;

Gaston Bachelard, L’Eau et les Rêves. Essai sur l’imagination de la matière, José Corti, 1941 ;

Natalia Diaz, Poème d’amour postcolonial, Globe, 2022.