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Mediapart
Malaise à Moussages, après le suicide de l’enseignante du village, victime d’un « corbeau »
#homophobie #Cantal #EducationNationale #CarolineGrandjean
Article mis en ligne le 10 septembre 2025
dernière modification le 7 septembre 2025

Caroline Grandjean s’est donné la mort lundi, jour de rentrée. Elle reprochait aux habitants du petit village cantalien dont elle dirigeait l’école communale leur indifférence face aux attaques lesbophobes qui la visaient. Depuis son décès, la mairie dénonce un « déferlement » d’insultes sur la commune.

Le petit village de Moussages, 250 habitant·es, dans le nord du Cantal, mérite-t-il l’opprobre qui vient de s’abattre sur lui ? Depuis le suicide, lundi, jour de rentrée, de Caroline Grandjean, ex-directrice et enseignante de l’école à classe unique de la commune, celui-ci a « reçu un déferlement d’insultes, sur les réseaux sociaux et au téléphone », explique-t-on à la mairie, au point que cette dernière « a dû couper la ligne ». Son site internet et sa page Facebook ont été expurgés des messages désobligeants et les nouveaux commentaires bloqués.

Arrivée dans le village à la rentrée 2020, Caroline, alors âgée de 39 ans, était, depuis décembre 2023, la victime d’un « corbeau » qui, informé de son homosexualité et de sa vie en couple avec une femme, multipliait les tags homophobes sur les murs de l’école et l’avait menacée de mort. (...)

« Eux là-bas, ils ont gagné. Ils ont une remplaçante, elle s’engage à fond, ils ont gagné. Ils ont tout gagné, écrivait-elle en janvier à ses pairs. Je crois que la hiérarchie a gagné aussi puisqu’il n’y a plus de problème. Idem pour la commune, dont je ne peux oublier la publication de “rentrée sereine” en début d’année et le post diffamatoire qui a suivi. » La mairie avait publié en septembre 2024 une photo de classe accompagnée d’une légende dans laquelle figuraient ces mots.

La mairie avait aussi, rapporte la bande dessinée, dénoncé sur les réseaux de « nombreux soucis avérés avec cette enseignante », « antérieurs à la manifestation de ce corbeau » et qui « n’ont aucun lien avec la vie privée de l’enseignante ». « Ce village, ses parents et ses enfants n’oublieront jamais le mal qui leur a été fait à travers tous vos propos ou publications », cite Remedium, précisant que le maire a été contraint par la préfecture de supprimer cette publication. Des enseignant·es ont confirmé auprès de Mediapart avoir en effet alerté le préfet, scandalisé·es. (...)

Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart, le maire, Christian Vert, a refusé de s’exprimer, invitant à s’adresser au parquet d’Aurillac ou à l’Éducation nationale. Il a toutefois publié vendredi, au lendemain des obsèques de l’enseignante dans la commune voisine de Saint-Cernin, un bref communiqué dans lequel il adresse ses « plus sincères condoléances à l’épouse ainsi qu’aux proches de Mme Caroline Grandjean ».

« Cette fin tragique bouleverse toute la population. Cette affaire qui dure depuis plusieurs mois et qui expose notre village n’est plus soutenable. Nous avons mis en œuvre tous les moyens à notre disposition pour que la vérité éclate et que la justice soit rendue », poursuit-il, avant d’appeler à « respecter [les villageois·es] et […] cesser tout propos diffamatoire ou mensonger à [leur] égard ».
L’étiquette d’homophobie

Sur la place du village, rares sont les Moussageois acceptant de s’exprimer sur le drame. Nombre d’entre eux font valoir qu’ils ne connaissaient guère l’enseignante, qui habitait dans une commune voisine, à Anglards-de-Salers.

« Cela paraît dingue que le coupable n’ait pas été trouvé. Mais ce n’est ni la responsabilité de la commune ni celle de ses habitants, commente brièvement Christine*. On nous reproche du harcèlement, mais c’est exactement ce qu’on nous fait aujourd’hui. » La jeune fonctionnaire refuse qu’on accole une étiquette d’homophobie à son village. « Nous avons des couples homosexuels ici, et il n’y a jamais eu de problèmes, clame-t-elle. S’il y avait vraiment une haine des homos, ils auraient été concernés. »

Une enquête a en effet été menée après le dépôt de plaintes par Caroline Grandjean, la mairie et l’Éducation nationale. « Nous y avons consacré beaucoup de moyens d’enquête : une foultitude d’auditions, des expertises graphologiques, des éléments scientifiques, on a tout fait, assure la procureure d’Aurillac, Sandrine Delorme. On n’a pas pu identifier l’auteur et le classement sans suite [est intervenu] le 25 mars 2025. » (...)

Président de l’association des parents d’élèves, Julien Audinet assure lui aussi avoir tenté de « faire au mieux » pour soutenir l’enseignante. Avec la mairie et les services de l’Éducation nationale, « après le second tag homophobe, [l’association a] décidé de réagir pour condamner fermement les faits et apporter [son] soutien total à Mme Grandjean », souligne-t-il.

« Nous sommes allés la voir, nous avons invité les parents qui le souhaitaient à avoir la même démarche, et nous avons envoyé un courrier à tous les parents pour expliquer les faits et les condamner. Puis nous lui avons réitéré notre soutien lors des conseils d’école », poursuit le jeune agriculteur, assurant que « l’homosexualité de Mme Grandjean n’a jamais été un sujet, ni pour les parents ni pour la mairie ». (...)

« On a des manifestations d’homophobie partout en France. Dans les petits villages, ce qui va être significatif, c’est le manque de soutien des habitants » aux victimes, affirme Beryl Esbrayat, membre du conseil d’administration de Queer Auvergne, qui signale « une forte réappropriation ces dernières années du milieu rural par la population queer », notamment dans le Cantal.

Adossés au mur de l’épicerie, Alexandre Raoux et Yann* jettent un regard désabusé sur le triste manège qui s’est emparé de leur village. « Moi, ce que je veux, c’est qu’ils le croquent, le corbeau. Parce que ça dépasse les bornes. La pauvre petite… S’ils le trouvent, ça mérite une bonne punition », lâche le premier, retraité de l’agriculture et de l’industrie.

« Personne n’y comprend rien, dans cette histoire. Les gens ici, quand ils ne sont pas contents, ils ne font pas des dazibaos, ils mettent leur poing dans la figure », clame le second, octogénaire retraité du BTP, avant d’ajouter : « Soutenir, ici, ce n’est pas le genre. Les gens, ils sont comme les pierres du pays, ils sont durs. »