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Olivier Besancenot : « Au-delà de Macron, la vraie question est celle de la répartition des richesses »
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Article mis en ligne le 20 septembre 2025
dernière modification le 18 septembre 2025

Quels enseignements tirer du mouvement social, des actions « bloquons tout » à la journée de grève du 18 septembre ? La mobilisation se poursuivra-t-elle, et sous quelles formes ? Entretien avec Olivier Besancenot et le syndicaliste Simon Duteil.

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 200 000 personnes ont participé à la journée du 10 septembre, construite en dehors des cadres traditionnels de mobilisation. Pour ce jeudi 18 septembre, les renseignements territoriaux pronostiquent la présence de 800 000 personnes dans les manifestations. Est-ce que ce sont des signes annonciateurs d’un grand mouvement social à venir ?

Olivier Besancenot : Comme d’habitude, on ne sait pas. Mais il y a des choses positives notables dans le mouvement du 10 septembre. D’abord la participation à des assemblées générales (AG) de préparation. C’est important de voir qu’il y a une auto-organisation dans le mouvement. On avait quand même tous et toutes noté que cela avait manqué en 2023, lors de la bataille contre la réforme des retraites. Même dans les secteurs les plus combatifs, chez les cheminots par exemple, il y avait peu de monde dans les assemblées générales et donc une difficulté à reconduire les grèves.

La pratique des AG est en perte de vitesse depuis au moins le début des années 2000. En 2003, lors de la bataille contre la loi Fillon sur les retraites, je me souviens d’AG interprofessionnelles où on était 800 à 900 à la bourse du travail de Gennevilliers. Les années suivantes s’il y avait 150 personnes, c’était un grand maximum. Est-ce que cette auto-organisation sera durable ? Impossible à dire. Mais on note qu’il se passe des choses, chez les hospitaliers notamment, ou encore dans les régions.

Le deuxième élément notable, c’est que le 10 septembre était quand même très jeune. Je pense qu’il y a là confirmation qu’une nouvelle génération commence à s’engager depuis plus d’un an, peut-être sur des thèmes un peu différents.

Simon Duteil : Je dirais plutôt que le 10 septembre révèle la nécessité d’avoir un grand mouvement social. Si l’on n’a pas rapidement une vaste mobilisation, on sait que l’extrême droite est derrière en embuscade. Elle est aux portes du pouvoir et on ne peut pas trop compter sur les organisations politiques de gauche pour réussir à lui faire barrage.

Aujourd’hui, on sent que le fond de l’air est à la mobilisation. (...)

La très bonne nouvelle, c’est que le 10 septembre a largement diffusé l’idée que pour changer les choses, il faut parvenir à un blocage de l’économie. Les syndicalistes de lutte et de transformation sociale le portent depuis longtemps. La question qu’il faut discuter avec le plus grand nombre, c’est : « Comment on y parvient ? »

Il y a parfois une forme de pensée magique – diffusée aussi par des courants politiques. Elle sous-entend qu’il suffit de bloquer tel ou tel endroit pour gagner. On a pu avoir ce type de choses par le passé autour des raffineries par exemple. Je pense profondément que le blocage de l’économie, c’est avant tout par la grève que cela s’organise et qu’on l’obtient.

C’est avant tout parce que les gens arrêtent de travailler qu’il y a blocage et que ça libère du temps pour le mouvement. Bien sûr, il peut y avoir des blocages ponctuels de telle ou telle zone, mais je ne crois pas à une construction depuis l’extérieur. Tu ne bloques pas le port parce que tu vas bloquer le port avec quelques personnes. Tu le paralyses parce que les travailleurs et les travailleuses du port s’arrêtent de travailler.

Beaucoup disent « les grandes manifs pendant les retraites, ça n’a pas marché ». Évidemment, cela n’a pas été suffisant et nous avons perdu. Mais ce que l’on n’a pas réussi en 2023, alors que l’on a essayé, c’était de lancer le blocage de l’économie à partir du 7 mars. (...)

Olivier Besancenot : La radicalisation du camp d’en face nous oblige à nous retrouver. Pour cela, il faut mettre de l’huile dans les rouages. Nous avons besoin de pratiques militantes qui existent souvent plus localement qu’à l’échelle nationale. Par exemple, voir des collectifs LGBTI dans les mouvements sur les retraites ou des Pink blocs [cortèges LGBTQI+, ndlr] dans les manifestations – tout ça dans une bonne ambiance – je suis pas sûr que, il y a 10, 15 ou 20 ans, c’était envisageable.

Quand je suis passé à Tours, je voyais des cheminots CGT et SUD, justement avec ces mêmes collectifs, faire des collectes pour la grève et parler d’une même voix dans des réunions publiques.

C’est la grève généralisée et la capacité de bloquer qui feront gagner

Tu peux multiplier les exemples entre certains secteurs féministes, écologistes ou dans les collectifs de quartier. Je ne vais pas amplifier le réel, évidemment, il y a plein de contradictions, de débats, de désaccords, de clivages, mais il y a aussi cette activité de fourmis qui existe. (...)

Une dernière chose à ajouter ?

Olivier Besancenot : J’en remets une louche sur la répression. C’est aussi un des éléments qui peut mettre le feu aux poudres. En mai 1968, c’était avec l’évacuation de la Sorbonne par exemple. Dans la radicalisation du pouvoir, comme dans la crise politique et la vacance de gouvernement, l’interlocuteur c’est Bruno Retailleau, avec ses ambitions politiques. Il serait bon que des réseaux unitaires se mettent pour de bon pour lutter contre la répression. On peut le faire dès maintenant, car on sait qu’elle est plantée dans le décor.

Simon Duteil : Je pense que tu ne construis pas des mobilisations de masse sans avoir de réflexions sectorielles sur des revendications spécifiques. Typiquement, je suis dans l’éducation dans le 93. Là, c’est la remise en avant du plan d’urgence 93. Il nous faut des éléments construits pour dire « c’est ça dont on a besoin, c’est ça qu’on veut ». Nous voulons l’abrogation de la réforme des retraites, mais aussi le renforcement des services publics et on doit être capable de le quantifier.

Quand on voit la France insoumise, ou d’autres, dire le 10 septembre c’était pour dire au revoir à Bayrou, que le 18 ce sera pour dire au revoir à Macron, ce n’est pas le sujet. Le sujet n’est pas Macron, mais le partage des richesses.