
Désormais réfugiée à Paris, la journaliste et écrivaine palestinienne Nour Elassy déplore « un deuil sélectif » en France, où toute solidarité avec la Palestine est frappée du soupçon tandis que le soutien à l’Ukraine est encouragé.
eJe ne suis pas venue en France pour être sauvée. Je suis venue en tant qu’évacuée. Je suis arrivée de Gaza avec seulement mon téléphone et l’odeur du feu sur mes vêtements.
J’ai franchi des checkpoints où les soldats me regardaient comme si j’étais déjà morte. Et lorsque je suis entrée dans Paris, cette ville imprégnée d’arrogance intellectuelle et de parfum colonial, je n’ai pas été accueillie par le silence, mais par quelque chose de pire : un deuil sélectif.
À Paris, le deuil est racialisé. Dans les cafés, les stations de métro et les résidences universitaires, les drapeaux ukrainiens sont accrochés comme des accessoires de mode sur des façades qui se disent morales.
Le soutien à l’Ukraine n’est pas seulement visible, il est obligatoire. Il est enveloppé de bleu et de jaune, dans des discours autorisés, des concerts, des décrets gouvernementaux. Pendant ce temps, le drapeau palestinien est suspect. C’est un graffiti. Il est interdit, effacé, criminalisé.
L’un est un symbole de résistance. L’autre est traité comme une menace. Ce n’est pas la neutralité, c’est la suprématie blanche sous un déguisement moral. (...)
De l’Algérie au Rwanda, du Vietnam à la Palestine, la France ne s’excuse pas, elle change d’image. Elle interdit les manifestations propalestiniennes, mais elle arme Israël. Elle donne des leçons de liberté au monde, tout en étouffant la solidarité dans ses propres rues.
Et maintenant, Macron, avec son ambiguïté raffinée, affirme qu’il « reconnaîtra » l’État palestinien. Comme si la reconnaissance était synonyme de libération. Comme si reconnaître le prisonnier et son geôlier sur un pied d’égalité n’était autre qu’une illusion. Que signifie exactement sa reconnaissance de la Palestine ?
La différence est dans la peau
Ce que pratique l’Occident n’est pas de la diplomatie. C’est une hiérarchie des valeurs humaines.
Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, la France a hurlé. Elle a ouvert ses frontières, annulé des concerts, imposé des sanctions, pleuré en direct à la télévision. Lorsque Israël a envahi Gaza à maintes reprises, la France a hésité. Elle a demandé un « contexte ». Elle nous a conseillé de vivre notre deuil en silence. Elle a présenté ses condoléances d’une main et ses armes de l’autre.
Gaza ne meurt pas. Elle est en train d’être tuée. Il n’y a rien de « compliqué » là-dedans. Des familles entières sont incinérées. Des enfants sont amputés sans anesthésie. Les gens boivent de l’eau salée. Le Nord n’a pas d’hôpitaux. Des journalistes sont pris pour cibles et tués. La famine est utilisée comme une arme.
Et chaque fois que nous crions, l’Occident répond : « C’est complexe. » Mais lorsque des corps blancs souffrent, soudain la clarté apparaît. Soudain, le langage apparaît. Soudain, l’action se met en place. (...)
La France ne craint pas le terrorisme. Elle craint l’effondrement de son propre mythe : celui d’une nation des Lumières, des droits et de la dignité. Mais quelle République pleure certaines victimes tout en en réduisant d’autres au silence ? Quelle liberté interdit les drapeaux ? Quelle égalité justifie l’occupation ? Quelle fraternité vend des armes à un régime génocidaire ? (...)
Certaines morts sont sacrées. D’autres sont des statistiques. Certaines souffrances sont télévisées. La nôtre est étouffée.
Je me promène dans Paris et je ne vois pas de justice.
Je vois des balcons drapés de drapeaux pour un peuple, et des pierres tombales silencieuses pour un autre.
Je vois le président Emmanuel Macron serrer la main du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, tandis que des enfants de Gaza sont exhumés des décombres.
Je vois des bourses distribuées à Sciences Po tandis que toutes les universités palestiniennes sont réduites en poussière par les bombardements.
Je ne veux pas de pitié. Je ne veux pas d’une autre signature blanche me déclarant humaine.
Je veux la libération de mon peuple. (...)
Je veux que l’Occident affronte son reflet et admette ce qu’il voit. Parce que ce n’est pas une guerre. C’est un génocide.
Et votre silence n’est pas de l’ignorance, c’est un choix.
Et j’en ai assez d’être invisible.
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël