
Croyant participer à une initiative d’intérêt général, peut-être avez-vous offert quelques centimes à cette association dont les véritables ambitions se dissimulent derrière un titre ambigu » ? Cet appel à don finance non seulement des écoles hors contrat, les banalisant, sans le dire ni préciser qu’il s’agit d’écoles loin des règles et des valeurs de l’Éducation nationale. Décryptage et analyse de la stratégie d’« Espérances Banlieues », soutenue par le groupe Casino…
une proposition de don à chaque passage en caisse pour lutter contre « le décrochage scolaire »
Si, au cours des dix derniers jours, vous avez fait vos courses dans un magasin de grande distribution du groupe Casino, comme Naturalia, Franprix et Monoprix, le terminal de carte bancaire vous a sans doute proposé, au moment de payer, d’arrondir au demi-euro supérieur le montant de votre note en vous incitant à « lutter contre le décrochage scolaire » par un don à « l’association Espérance banlieues ».
Croyant participer à une initiative d’intérêt général, peut-être avez-vous offert quelques centimes à cette association dont les véritables ambitions se dissimulent derrière un titre ambigu. Créé en 2012, le réseau « Espérance banlieues » se présente, sur son site internet, comme un « acteur complémentaire de l’Éducation nationale » mu par une volonté « d’équité scolaire et culturelle ». L’association dispose aujourd’hui de 16 écoles privées hors contrat, dont 11 exclusivement primaires et 5 établissements primaires et secondaires disséminés sur tout le territoire national.
« Espérance banlieues » : un réseau d’établissements traditionalistes et « patriotes »
Son fondateur, Éric Mestrallet, proche de la droite chrétienne, ne se cachait pas, il y a quelques années, d’avoir trouvé, avec l’école, une autre façon de faire de la politique[1]. Avec son attachement à un enseignement traditionaliste – lever du drapeau en début de journée, port de l’uniforme (vert pour les garçons, bordeaux pour les filles), vouvoiement des adultes par les enfants et des enfants et adolescent(e)s par le personnel scolaire, classement des élèves selon leurs résultats – le réseau « Espérance banlieues » poursuit un agenda très marqué à droite en reproduisant un modèle élitiste auprès d’enfants venus de quartiers défavorisés. Le documentaire de Romain Potocki consacré au cours Alexandre-Dumas de Montfermeil intitulé Un pas après l’autre (2016) montre notamment les nouveaux élèves de primaire jurer lors de la rentrée, la main droite sur le blason de l’établissement : « Je m’engage à briller et à faire de mon mieux[2] », sous les applaudissements de leurs camarades. (...)
Des écoles hors contrat loin des règles et des valeurs de l’Éducation nationale
L’association, qui se revendique comme pionnière en pédagogie, dit adopter tous azimuts la méthode de Singapour, la méthode Montessori et la « pédagogie de l’ordre », d’après son site internet. Elle précise cependant qu’« une innovation pédagogique n’est pas forcément une nouvelle méthode », et réclame un retour à des formules qui auraient fait leurs preuves et garantiraient aux élèves la certitude d’une réussite scolaire impossible dans l’école publique.
Les résultats du réseau au brevet des collèges seraient pourtant inférieurs à la moyenne des établissements publics[6]. Il faut dire qu’en tant qu’établissements privés hors contrat, les écoles « Espérance banlieues » peuvent employer des enseignants non formés pour ce métier et non titulaires d’un concours de recrutement de l’Éducation nationale.
Du fait de leur statut, ces écoles n’ont pas non plus l’obligation de suivre les programmes scolaires édictés par l’État. (...)
Plusieurs pratiques propres à ces établissements posent aussi la question de leur adéquation avec les valeurs de la République et notamment avec la promotion de l’égalité filles-garçons, une des grandes missions de l’Éducation nationale. Ainsi, dans le documentaire diffusé sur France 2 en 2016, le balayage de la cour, le lavage des tables ainsi que la vaisselle sont confiés exclusivement à des filles pendant que les garçons jouent au football dans la cour (...)
Un réseau généreusement financé par des dons privés
L’association a été critiquée depuis plusieurs années par de nombreux élus locaux ainsi que par les syndicats : elle organise une fuite de l’école publique dans les zones périurbaines défavorisées au nom d’un agenda conservateur, et ce, grâce à d’importants financements privés venus notamment d’entreprises du CAC 40, qui s’expliquent par l’entregent de son fondateur.
À cela s’ajoutent désormais les dons des centaines de milliers de clients du groupe Casino. Contactée par l’un d’entre eux, excédé, l’enseigne a déclaré que l’association, malgré les nombreuses critiques qui l’ont visée depuis sa création, n’a été victime « d’aucune poursuite judiciaire ». Le groupe Casino reconnaît que si « Espérance banlieues » est d’abord née à l’initiative de la Fondation pour l’école, liée à la « Manif pour tous », elle est désormais sous l’égide de la Fondation de France, reconnue d’utilité publique, ce qui légitime pour l’enseigne son soutien à cette association qui « répond aux valeurs du groupe ».
Il va sans dire qu’« Espérance banlieues » a une fois encore réussi son opération de communication, qui rime, de nouveau, avec manne financière. (...)