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Le Monde Diplomatique
Croissance, un culte en voie de disparition
par Jean Gadrey
Article mis en ligne le 23 février 2016
dernière modification le 17 février 2016

Quand bien même la croissance reviendrait dans les pays développés, elle empêcherait d’atteindre les objectifs climatiques. D’autres chemins vers le progrès humain méritent d’être explorés.

l existe de multiples explications à la « baisse tendancielle du taux de croissance (1) » observée depuis plusieurs décennies dans les pays riches, et plus récemment dans les pays émergents. Même des économistes médiatiques commencent timidement à envisager l’hypothèse d’un monde sans croissance, du moins dans les pays dits avancés. C’est le cas, aux Etats-Unis, de Paul Krugman et de Larry Summers, pour qui « une stagnation séculaire est plausible (2) ». En France, Thomas Piketty nous met lui aussi en garde : « Est-il bien raisonnable de miser sur le retour de la croissance pour régler tous nos problèmes ? Cela ne résoudra pas l’essentiel des défis auxquels les pays riches doivent faire face (3). » A son tour, Daniel Cohen nous exhorte : « Affranchissons-nous de notre dépendance à la croissance (4). »

Quelques hirondelles ne font pas le printemps, mais ces exemples ne sont pas insignifiants, bien qu’aucun ne fasse intervenir un facteur explicatif essentiel : l’épuisement, déjà en cours, de la plupart des ressources naturelles de la croissance. Matthieu Auzanneau, spécialiste du pic pétrolier, et Philippe Bihouix, expert des ressources fossiles et des minerais, en ont livré des constats rigoureux (5).

Pourtant, le culte de la croissance est à ce point ancré dans l’esprit des dirigeants politiques que, même lorsqu’ils tiennent des discours enflammés sur la lutte contre le changement climatique, ils s’empressent de rappeler qu’elle demeure un impératif. M. François Hollande a donné le ton lors de son intervention à Sassenage, en Isère, en août 2015 (...)

Comment prétendre être exemplaire sur le climat en liant tout à la croissance ? Cette contradiction ne dérange pas nombre de dirigeants, qui partagent une nouvelle religion : la « croissance verte », cette transition censée stimuler la croissance, laquelle facilitera la transition. L’ancien président américain George W. Bush avait résumé son credo en matière d’environnement par cette formule : « La croissance économique n’est pas le problème, c’est la solution (7). »

Une « croissance verte » compatible avec la finitude des ressources est un mythe (...)

Plus généralement, la croissance économique, même faible, est-elle compatible avec les taux de réduction des émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui exigés pour ne pas franchir des seuils critiques de concentration dans l’atmosphère ? (...)

En réalité, les acteurs dominants du capitalisme néolibéral adorent le chômage comme dispositif disciplinaire les autorisant, d’une part, à freiner les revendications salariales et, de l’autre, à intensifier et précariser le travail pour accroître les profits. Aucun projet post-croissance n’aboutira s’il ne convainc pas que la « relance » du bien-vivre dans un environnement préservé est nettement plus efficace pour vaincre le chômage que les recettes éculées du libéral-croissancisme.

Et pourtant, la croissance n’est nécessaire à la création d’emplois que dans le modèle actuel, qui repose sur la quête perpétuelle de gains de productivité (...)

il faut plutôt troquer le vieux logiciel du « partage des gains de productivité », héritage des « trente glorieuses » ou du fordisme, contre celui du partage des gains de qualité et de soutenabilité. Orienter le système de production et de consommation selon une logique qualitative du « prendre soin » (des personnes, du lien social, des objets, de la biosphère...), en plaçant la qualité des biens communs sociaux et écologiques au cœur des activités humaines et de la politique : sobriété dans la quantité, prospérité dans la qualité. Cela implique aussi de s’attaquer aux inégalités pour que les nouveaux modes de consommation soient accessibles à tous. C’est même la principale condition pour que les milieux populaires ne voient pas dans cette transition la marque d’une écologie punitive.

Une économie plus douce offre bien plus d’emplois riches de sens (...)

Il appartient aux citoyens, le plus souvent en contournant les responsables politiques, et plus rarement avec leur appui, de s’insurger et de généraliser ces logiques où la triade compétitivité-croissance/consumérisme/emplois indécents-chômage cède la place à une autre : coopération-bien vivre/sobriété matérielle/emplois décents-activités utiles...