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10 septembre : à Strasbourg, les autorités répriment lourdement les lycéens bloqueurs
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Article mis en ligne le 14 septembre 2025
dernière modification le 13 septembre 2025

Dans la capitale alsacienne, plusieurs élèves ont été placés en garde à vue et détenus vingt-quatre heures durant après le blocage de leurs établissements dans le cadre du mouvement « Bloquons tout ». Malgré l’absence de violences ou de dégradations.

Strasbourg (Bas-Rhin).– Huit véhicules de la police nationale sont stationnés devant le lycée Fustel-de-Coulanges jeudi 11 septembre. Cinq des agents présents sur place s’approchent d’un groupe d’une vingtaine de jeunes. « On est là pour les dissuader. Il ne faut pas qu’ils retentent de mettre des barrières devant les portes », lâche un policier. Le matin même, les forces de l’ordre étaient intervenues avant le début des cours pour empêcher un blocage. Deux personnes, une lycéenne et une étudiante, ont été interpellées et placées en garde à vue.

La veille, mercredi 10 septembre, journée d’action du mouvement « Bloquons tout », la police a également empêché trois blocages, aux lycées Fustel-de-Coulanges, Pontonniers et Marie-Curie. Face à des jeunes qui n’ont pas accepté de se pousser devant le lycée des Pontonniers, un agent a fait usage de gaz lacrymogène. Des jeunes filles et garçons se sont retrouvés à terre à ce moment-là, sans parvenir à bouger et à ouvrir les yeux, avant de se relever péniblement, aidés par leurs amis. Au total, dans la matinée du 10 septembre, quatre élèves ont été interpellés et placés en garde à vue.

« C’était très long comme attente », souffle Enzo*. Comme Léo* et Aimé*, il a passé vingt-quatre heures au commissariat, pour n’être libéré qu’à 11 heures le jeudi 11 septembre. « Les surveillants ne répondaient pas toujours à nos appels dans les cellules. Il faisait froid et ils avaient un nombre insuffisant de couvertures. La cellule était assez petite. Je n’ai quasiment pas dormi. La lumière était toujours allumée, et les matelas très peu confortables », relate-t-il. (...)

« La longueur de la garde à vue dépend juste du temps d’enquête nécessaire, explique Clarisse Taron, procureure de la République de Strasbourg. On entend les policiers, le proviseur, on consulte les caméras, pour définir si on classe sans suite ou pas… Voilà pourquoi ça a duré vingt-quatre heures pour certains. »

Jeudi 11 septembre, les lycéens devant Fustel-de-Coulanges souhaitent avant tout soutenir leurs camarades interpellés. Surveillés de près par l’important dispositif, beaucoup se disent sonnés par la répression qui s’est abattue sur eux, malgré des blocages sans violences ni dégradations. (...)

« Blocage de la voie publique, participation à un rassemblement non déclaré, port d’un masque, outrage à agent et rébellion. Ils n’avaient rien, tout a été classé sans suite, je suis sorti sans aucune poursuite. »

« Ils ont juste voulu s’engager » (...)

« Pendant la garde à vue, l’inspecteur qui m’a interrogé se plaignait parce que sa tablette ne fonctionnait pas, souligne-t-il. Même les hôtels de police sont délaissés, on dirait. Quand je bloque, c’est notamment pour l’amélioration des services publics. L’agent m’a dit que mon engagement était juste. Il est fondé sur ce que je vois tous les jours. Nous avons des cours qui sautent parce que les professeurs ne sont pas remplacés, des élèves qui décrochent dans des matières parce que l’encadrement n’est pas suffisant. »

« Macron nous fait la guerre, et sa police aussi. Mais on reste déter’, pour bloquer le pays », scandent les lycéens et quelques soutiens militants place du Château. Le slogan semble résonner particulièrement chez ces élèves. À ce moment, certains mineurs sont toujours au commissariat.

« J’ai le sentiment qu’ils ont trouvé des excuses pour interpeller les jeunes qui s’engagent et pour faire du chiffre, observe Paul-André, le père d’Aimé venu soutenir son fils. Ils y vont très fort contre des lycéens qui ont juste voulu s’engager, et qui sont restés très sages en fait. »

« On dirait que l’État veut leur apprendre à rentrer dans le rang, poursuit Anne, la mère d’Aimé. Ça me fait peur parce qu’on ne sait pas jusqu’où ça peut aller. Mais je suis fière de lui et de son engagement. Il se bat pour le monde dans lequel il va vivre et il a bien raison. » (...)

« L’année dernière, on a fait un blocus pour Gaza en octobre à Fustel, se souvient Aimé. La police était juste venue voir et elle était partie. Tout s’était bien passé. Ensuite, on a bloqué en décembre. La police était restée tout le long mais elle n’était pas intervenue et on n’avait pas eu de problème. Puis il y a eu le blocage en mai, où la police a débloqué et j’ai été arrêté. Ça devient de pire en pire. »

Aimé avait déjà passé quatorze heures au commissariat le 17 mai 2025 suite à un blocage pour la Palestine. « Pour moi, c’est important de parler de la répression, pour montrer ce que l’État fait aux jeunes qui s’engagent. Il ne faut pas passer ça sous silence, sinon on laisse la place aux dérives d’un État autoritaire », analyse Aimé. (...)

Consciemment ou non, la police a réussi à faire peur aux lycéens mobilisés. Lyam* n’a pas été interpellé mais il n’ose pas retourner au lycée Fustel parce qu’il craint d’être interpellé à son tour par les policiers présents devant l’établissement ce 11 septembre.

Il attend donc dans un appartement, mais pas chez ses parents, car il se souvient qu’Aimé avait été recherché jusqu’à son domicile en mai 2025 (...)

Choqués, mais encore plus motivés

Contactée par Rue89 Strasbourg sur ces opérations de police, la préfecture du Bas-Rhin a simplement indiqué par écrit que « conformément à la loi, les interventions ont eu lieu sur réquisition du recteur et/ou du chef d’établissement ». Mais ni le rectorat ni les directions des lycées concernés n’ont accepté de répondre aux sollicitations de Rue89 Strasbourg.

« Les chefs d’établissement qui ont décidé de faire appel à la force publique ont mis les élèves en danger », déplore le père de Léo. Il souhaite aussi garder l’anonymat en tant que professeur dans un autre lycée strasbourgeois. « Si la police n’était pas venue, il n’y aurait pas eu d’incident. Là, on se retrouve avec des jeunes qui se sont fait gazer, interpeller et emprisonner. Et ça aurait pu être pire, observe-t-il. On assiste à une escalade de la répression, parce qu’il y a une volonté politique de mettre la jeunesse au pas. Pendant les blocages contre le contrat première embauche (CPE), en 2005, il n’y avait pas du tout cette violence de la police. »

De leur côté, les jeunes interrogés pour cet article se disent déterminés à continuer à lutter malgré les placements en garde à vue. (...)