
Le gouvernement de François Bayrou s’attaque à l’Aide médicale d’État (AME). L’exécutif souhaite réduire le panier de soins dont peuvent bénéficier les personnes en situation irrégulière, qui pourrait comprendre de la balnéothérapie. Une mesure "indécente", selon le Comité pour la santé des exilé.e.s (Comède) qui fait passer "les plus précaires pour des supposés profiteurs" du système.
"Lorsque vous demandez des efforts aux Français, il n’est pas possible qu’ils aient le sentiment de devoir faire des efforts, mais pas les autres (...) ce n’est pas possible que les étrangers que nous accueillons et que nous aidons ne soient pas associés à cet effort", a assuré mercredi 3 septembre François Bayrou, le chef du gouvernement français, sur BFMTV.
À six jours du vote de confiance de François Bayrou à l’Assemblée nationale, le Premier ministre tente de rassurer l’aile droite de l’échiquier politique en s’attaquant à l’Aide médicale d’État (AME), un panier de soins réservés, sous conditions, aux migrants en situation irrégulière. "Il y avait, par exemple, dans la liste des soins [de l’AME], de la balnéothérapie. Ce n’est pas normal, ce n’est pas raisonnable que le pays ne prenne pas soin de l’équilibre (entre les Français et les étrangers)".
De quoi parle-t-on ?
InfoMigrants a pu consulter les projets de décret. L’un d’eux propose d’exclure "les actes de rééducation réalisés en balnéothérapie".
Le mot "balnéothérapie" n’apparaît pourtant pas dans l’article R.251-3 de l’actuel Code de l’action sociale et des familles qui liste les actes médicaux auxquels ont droit les bénéficiaires de l’AME. En revanche, le panier de soins propose une prise en charge financière pour des "actes de masso-kinésithérapie" - généralement proposés dans des centres de santé, comme les balnéothérapies.
François Bayrou proposerait donc de supprimer ces actes de "masseurs" ou "kinésithérapeutes" pour alléger les dépenses de l’État ? Ce ne serait pas la première fois que des "soins" de l’AME sont supprimés de l’article de loi. Depuis les années 2000, les sans-papiers ne peuvent plus profiter des "cures thermales", de "frais d’hébergement enfants et adolescents handicapés", des "examens bucco-dentaires pour les enfants", ou encore de "parcours de procréation médicalement assistée (PMA)". Ces soins restent intégralement à la charge du patient.
Pourquoi cette annonce est-elle décriée par les associations d’aide aux migrants ?
Parce que parler de balnéothérapie est "indécent", réagit Didier Maille, coordinateur du pôle social et juridique du Comité pour la santé des exilé.e.s (Comede) contacté par InfoMigrants. "Comme si les sans-papiers se rendaient en cure thermale alors qu’ils sont précaires, en situation de survie". Pour le professionnel du Comede, cette sortie de l’exécutif stigmatise une nouvelle fois les migrants "en faisant croire qu’ils viennent se la couler douce en France". "C’est un énième affichage pour faire passer les prolétaires et les précaires pour des supposés profiteurs du système et les priver d’accès aux soins".
L’AME est une aide sociale qui garantit aux étrangers en situation irrégulière présents depuis au moins trois mois sur le territoire français la prise en charge de certains soins médicaux. C’est la seule aide dont peuvent bénéficier les sans-papiers en France. Les soins concernés sont remboursés par l’État, mais sur une base tarifaire de la Sécurité sociale. Cela signifie que le migrant a souvent un "reste à charge". Exemple : si un sans-papiers a besoin d’une couronne dentaire à 500 euros et que la base de remboursement est de 100 euros, le migrant devra payer de sa poche 400 euros.
En terme de santé publique aussi, réformer l’AME serait un "non-sens", s’était ému l’année dernière Mathieu Quinette, coordinateur du programme mineurs non-accompagnés de Médecins du Monde. "Si on ne permet pas aux étrangers de se soigner, ils vont tomber malades. Et s’ils tombent malades, il y a de grandes raisons que la population tombe malade elle aussi […] Si les étrangers n’ont plus accès à l’AME, ils vont sursaturer l’hôpital public."
L’AME coûte-t-elle chère à l’État ?
L’aide médicale d’État représente environ 1,2 milliard d’euros par an des dépenses de l’Assurance maladie - ce qui correspond à seulement 0,4% des dépenses de santé. Cette proportion est stable depuis des années. Et donc une goutte d’eau dans le budget de l’État.
Rappelons enfin que ses 466 000 bénéficiaires représentent moins de 1% de la population française. (...)
Parmi les bénéficiaires de MdM, 8 étrangers sur 10 n’y ont pas recours. Il n’y a donc pas, selon l’ONG, "d’appel d’air" d’un prétendu "tourisme médical".
Lire aussi :
– (Politis)
En s’attaquant à l’AME, François Bayrou tente de se sauver grâce au RN
Le gouvernement travaille sur des projets de décrets réformant l’aide médicale d’État (AME). À quelques jours d’un vote de confiance qui s’annonce plus que défavorable pour le premier ministre, il tente de manoeuvrer en douce pour séduire l’extrême droite.
Une bombe politique. Alors que les jours de François Bayrou à l’hôtel de Matignon sont comptés, le premier ministre et son gouvernement ciblent l’aide médicale d’État (AME), ce panier de soins pour les étrangers sans-papiers qui gagnent moins de 10 000 euros par an. Une demande de la droite et de l’extrême droite qui souhaitent un durcissement des conditions d’accès à cette aide, voire même sa suppression. (...)
Ce texte élargirait également la liste des soins conditionnés à un délai d’ancienneté. Cela pourrait concerner les soins pour le traitement de l’obésité, des aides auditives ou encore la rééducation de la déambulation des personnes âgées. Enfin, ce décret reverrait les critères d’attribution du bénéficiaire : les ressources du demandeur, de son conjoint et des enfants mineurs seraient uniquement prises en compte. De ce fait, les enfants majeurs sortiraient du calcul. (...)
Quant au second décret, il obligerait les demandeurs à fournir plus de pièces dans leurs dossiers, comme un extrait d’acte de naissance ou une copie du livret de famille. Des documents souvent inaccessibles pour de très nombreux étrangers ayant fui leur pays. (...)
Main tendue
Politiquement, la manœuvre a le mérite de la clarté. Le premier ministre sait qu’il tombera le 8 septembre, jour du vote de confiance qu’il a lui-même sollicité, s’il n’arrive pas à convaincre les oppositions. Et, pour éviter de faire des concessions à la gauche, François Bayrou tend la main au Rassemblement national (RN). « Ça peut être une stratégie, mais ce n’est pas ça qui va sauver le gouvernement », assure Joël Aviragnet, député socialiste et membre de la commission des Affaires sociales. (...)
Mais cette initiative risque même de faire trembler son propre camp. Car le Modem est plutôt favorable à la défense de l’AME. Le 6 novembre 2023 dans La Croix, 26 députés Modem signaient une tribune pour contester une potentielle suppression de l’AME durant les débats de la très brûlante loi immigration.
« C’est l’honneur de la France d’accueillir celles et ceux qui souffrent, et c’est l’honneur de tous les professionnels de santé de soigner les personnes en souffrance, peu important leurs origines, leurs opinions ou leurs religions », écrivaient-ils. François Bayrou vient-il de marquer un but contre son camp ? Le premier ministre à l’assise parlementaire la plus fragile de la Ve République vient-il de réussir l’exploit d’aggraver son cas ? (...)
Agnès Firmin Le Bodo, ex-ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, éphémère ministre de la Santé et de la prévention, critique cette décision : « Le timing de cette décision ne surprend personne. C’est une main tendue vers le Rassemblement national et ceux qui, parmi les Républicains, veulent une réforme de l’AME. » (...)