
Film sélectionné à l’académie des César & Techniques 2024.
Revêtus d’un gilet jaune, des femmes et des hommes se sont rassemblés pour exprimer leur colère et leur détermination à changer de monde. Sur une ligne qui va du Havre à Marseille, derrière l’image tranquille des paysages, d’une nature sereine et des scènes de la vie ordinaire, des voix d’anonymes apparaissent et se répondent.Ils ont sorti leur gilet phosphorescent, quitté leurs campagnes, petites villes, zones périphériques, pour rejoindre les ronds-points et les grands centres urbains, pour qu’on les voie, eux, les invisibles et pour qu’on les entende, eux, les inaudibles… Mais a-t-on bien regardé ces lieux qu’ils habitent au quotidien, qu’ils voient de leur fenêtre, qu’ils traversent en allant conduire leurs enfants à l’école ? Sait-on chercher ailleurs que dans les manifestations et les actions – dont on a vu l’ampleur – le timbre de leur voix, la forme de leurs désirs, la couleur de leurs rêves ? En suivant la terre qui tremble tout le long de cette mobilisation, j’observe les lieux ordinaires où le trouble est apparu et ma caméra agit comme une caisse de résonance.
La répression est immédiate. Tandis que les cabanes sont détruites les unes après
les autres (et souvent reconstruites), la police utilise massivement du matériel de
guerre (grenades explosives), des gaz lacrymogènes et des armes dites non létales
(LBD). Une trentaine de manifestants perdent l’usage d’un œil, et cinq ont une main
arrachée. Ces violences policières sont accompagnées d’un nombre d’arrestations
record (8.500 après 3 mois), et de multiples condamnations à de la prison ferme.
L’escalade des violences est exacerbée par les médias conventionnels qui sont de
plus en plus discrédités par les Gilets jaunes qui y voient le reflet de la violence d’état
et de sa dérive autoritaire. De fait, des institutions telles que l’ONU et le Conseil de
l’Europe, et des associations comme Amnesty International, critiquent vivement la
stratégie du maintien de l’ordre ordonnée par le pouvoir.
Fin 2018, Emmanuel Macron annonce renoncer à la hausse de la taxe sur les carburants
et propose des mesures d’urgence économiques et sociales, mais aucune avancée
institutionnelle n’est mise en place. Son « grand débat national » apparaît aux yeux des
Gilets jaunes comme une mascarade technocratique, dès lors que les concertations
populaires qu’eux-mêmes avaient organisées avaient été systématiquement
méprisées.
En 2019, de nombreux groupes poursuivent la mobilisation sur les ronds-points,
les cabanes et les assemblées, tandis que d’autres initiatives solidaires comme les
« Maisons du peuple » et les « jardins partagés » sont créés. Les Gilets jaunes se
retrouvent dans les manifestations du samedi et rejoignent éventuellement d’autres
causes sociales ou environnementailes, comme la « Marche pour le climat » en mars
2019 ou celle du 1er mai 2019, sous le slogan « Fin du monde, fin du mois, même
combat ».
En définitive, cette mobilisation - une des plus importantes en France depuis la
Révolution française - se poursuivra jusqu’au premier confinement lié à la pandémie
de Covid-19.
Aujourd’hui, alors que quelques ronds-points subsistent, et que des Gilets jaunes ont
décidé de s’engager dans d’autres voies, ce mouvement reste un marqueur individuel,
mais aussi politique et social pour ceux qui l’ont vécu. Il aura su dévoiler au monde
une capacité de résistance hors norme, sous des formes collective et populaire aussi
créatives qu’inédites
(...)