
Le succès de la pétition contre la loi Duplomb est une nouvelle illustration de la volonté des Français de peser sur les décisions politiques. Mais alors que les gouvernants évoquent régulièrement la nécessité de développer la participation des citoyens, la France ne leur permet pas de prendre part aux décisions de façon tangible, selon Jean-Michel Fourniau, spécialiste de la démocratie participative.
Pétition contre la loi Duplomb, manifestations contre la réforme des retraites, procédure de référendum d’initiative partagée contre la privatisation d’Aéroports de Paris, Grand débat national et cahiers de doléances... Depuis plusieurs années en France, les initiatives suscitant une forte participation des citoyens se sont multipliées, sans parvenir pour autant à obtenir des victoires politiques et se terminant le plus souvent dans la frustration.
Pour le sociologue Jean-Michel Fourniau, directeur de recherche émérite à l’Université Gustave-Eiffel et président du groupement d’intérêt scientifique Démocratie et participation, la classe politique française est réticente à l’idée de donner un pouvoir de décision aux citoyens et elle reste attachée à la démocratie représentative.
La France a créé des dispositifs permettant aux citoyens de s’exprimer en dehors des élections comme le référendum d’initiative partagée (RIP) ou les plateformes de pétition en ligne, mais ceux-ci apparaissent comme trop complexes ou inutiles. Ainsi, malgré près de 1,7 million de signatures comptabilisées, mardi 22 juillet en fin d’après-midi, la pétition contre la loi Duplomb pourrait se solder par un simple débat sans vote à l’Assemblée nationale. De quoi créer "de la frustration au sein de la population" et à plus long terme "un risque pour notre démocratie", prévient le sociologue. (...)
Comme pour tous les dispositifs de participation citoyenne existant en France, leur influence sur la décision finale reste très faible et très aléatoire. L’idée de la pétition est davantage de faire pression sur le président de la République pour qu’il recule sur la loi Duplomb que d’obtenir directement son abrogation. Si, au final, il n’y a qu’un débat sans conséquence à l’Assemblée nationale et que derrière la loi s’applique, cela créera forcément de la frustration au sein de la population.
Et au-delà de la loi Duplomb, c’est un risque qui pèse sur notre démocratie. L’envie de participer aux décisions est très forte en France. Il y a une appétence pour le débat public et la participation citoyenne est devenue une question politique importante pour les citoyens. Ne pas y répondre crée de la défiance vis-à-vis de la classe politique, favorise l’abstention et alimente les discours populistes anti-système et anti-élites portés en particulier par l’extrême droite. (...)
Il y a pourtant des exemples qui fonctionnent à l’étranger. La France a-t-elle un problème avec la participation citoyenne ?
C’est effectivement quelque chose que l’on observe chez les gouvernants, qui tiennent pourtant des discours très favorables à la participation citoyenne. Emmanuel Macron, notamment, a pris un certain nombre d’initiatives, mais il n’en a jamais rien fait. (...)
Il y a en France une forme d’hostilité et une très grande peur des politiques vis-à-vis de la démocratie directe. C’était très frappant lors de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle j’ai participé en tant qu’observateur. Les députés comme les sénateurs étaient très réticents à l’idée que 150 citoyens tirés au sort puissent faire des propositions législatives et ils ont refusé que des administrateurs de l’Assemblée nationale et du Sénat participent à la Convention au sein du comité légistique qui devait aider les citoyens à écrire leurs mesures. Ils considèrent qu’écrire la loi est leur prérogative, pas celle des citoyens.