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Histoire coloniale et décoloniale
Loi « Refondation Mayotte » et violence politique, par Daniel Gros
#Mayotte #violencepolitique
Article mis en ligne le 19 novembre 2025
dernière modification le 16 novembre 2025

Grâce à la Loi Refondation Mayotte, l’État français s’est donné les moyens juridiques de poursuivre sa politique contre les populations pauvres et cherche à les déplacer vers les Comores. (...)

Depuis le passage du cyclone Chido, survenu le 14 décembre 2024 et la dévastation de l’ile de Mayotte qu’il causa, le gouvernement français est parvenu à promulguer deux lois spécifiques à ce petit confetti de l’Océan Indien : la première afin d’organiser la reconstruction et la seconde pour initier la « refondation » du département ultramarin [1].

En outre, une initiative d’origine parlementaire, portée par un député du parti Les Républicains, fut adoptée par la majorité de l’Assemblée nationale pourtant fragmentée, loi qui attente une fois de plus au droit du sol.

Les natifs de Mayotte de plus en plus nombreux seront ainsi condamnés à vivre comme des étrangers sur leur terre natale au risque permanent d’être expulsés vers Anjouan où ils n’ont aucune attache. Exilés loin de la terre qui les a nourris sans même avoir failli. Les députés, à présent, du centre à l’extrême droite ne dissimulent plus leur intention de supprimer la notion même de droit du sol dans la Constitution française. Mayotte en guise de première marche.

Ces lois, les rares que l’État sut mener à bien durant cette période déstabilisée, ne constituèrent en réalité que de formidables assauts contre les habitants de Mayotte qui savent désormais à quoi s’en tenir de la considération d’un État central qui les maltraite.

Le dévoilement d’un rapport colonial

Mais cela, ils le savaient d’expérience depuis la séparation de leurs voisins des iles de l’archipel des Comores par les tourments que leurs privilèges de « Français » leur valurent. Le président de la République, rendu au chevet du département meurtri cinq jours après le désastre, n’a pas manqué de confirmer la considération qu’il leur prêtait par cette envolée historique : « Vous avez vécu quelque chose de terrible. Mais tout le monde se bat, quelle que soit la couleur de peau. N’opposez pas les gens. Si vous opposez les gens, on est foutus. Parce que vous êtes contents d’être en France. Car si ce n’était pas la France, vous seriez 10.000 fois plus dans la merde » [2].

Quel étrange discours ! Sont présents tous les archaïsmes incongrus mais significatifs d’une survivance des implicites coloniaux dans cette parole qui concentre en quatre lignes toutes les contradictions mobilisées pour invisibiliser la domination. (...)

Mais en réalité, le pouvoir en cette terrible circonstance vient s’assurer de l’asservissement de la population sinistrée suffisamment dédommagée de ses mauvais traitements par son appartenance à une nation qui se veut puissante et fière.

En effet, l’oraison éclot sur une apothéose : « parce que vous êtes contents d’être en France « dit-il dans une adresse infantilisante à des gens qu’il s’agit de rassurer de la toute-puissance d’un pouvoir blanc, lequel ne doute jamais de sa légitimité ni de son efficacité. Le président en apporte immédiatement la preuve qui sonne aussi comme une menace : « car si ce n’était pas la France, vous seriez 10.000 fois plus dans la merde ». Vous l’avez échappé belle, en quelque sorte.

Le président monologue. Il excelle à exercer un tropisme autour de sa personne, accaparer l’attention, faire les questions et les réponses. Il n’écoute pas, il ferme la possibilité de tout épanchement de la souffrance, si ancienne dans le dédain convenu d’une métropole lointaine, et si récente dans la violence brute d’un cyclone ravageur.

L’adresse présidentielle à la population sinistrée fait l’impasse sur l’impossibilité d’une vie digne : tous les besoins élémentaires sont menacés : plus d’eau, en fait depuis trop longtemps ; plus d’électricité et ça va durer deux mois ; plus de toits ni d’abris sûrs, plus de magasins ; plus d’accès à la monnaie ; plus d’accès aux ressources agricoles dévastées. Voilà l’urgence que la population souligne dans ses doléances au chef de l’État, elle veut le secouer, qu’il agisse enfin. Mais celui-ci, puisqu’il n’imagine aucune réponse au drame et probablement aussi parce qu’il n’entend pas en apporter, se démasque en bonimenteur entraîné dans un soliloque d’automate qui trahit une logique de la pensée populaire embuée dans une fantasmagorie aux relents racialistes (« quelle que soit la couleur de peau ») et colonialistes (« vous êtes contents d’être en France »). (...)

Mayotte et ses habitants sont maintenus dans un état de sous-développement critique par un délaissement assumé par tous les gouvernements successifs depuis sa mise sous souveraineté française. L’égalité de traitement est sans cesse reportée aux calendes grecques : prestations sociales divisées par deux [4], SMIC horaire égal à 75% de celui versé sur l’ensemble du territoire [5] et ainsi de suite.

Division et tri de la population

L’appel à la cohésion par le chef de l’État (« N’opposez pas les gens. Si vous opposez les gens, on est foutus. ») ne vise pas tous les habitants de Mayotte, tous les gens meurtris sans exception. En est exclue une bonne moitié, ceux qui viennent des autres îles de l’archipel, ceux dont les parents en sont originaires, ceux qui ne sont pas français, ou encore ceux qui sont trop pauvres pour être dignes de la sollicitude de la France ou, pour dissiper si possible la confusion croissante, ceux dont la condition ne les distingue pas des étrangers. Aussitôt le cyclone passé et avérée l’urgence des secours et des premiers soins, les discours présidentiels et ministériels commencent systématiquement par la promesse sans cesse répétée d’intensifier la lutte contre l’immigration illégale (...)

La même hantise de l’étranger supposé régente la rédaction de la loi pour la refondation de Mayotte promulguée le 11 août 2025 [9] dont le titre II, composé de 14 articles, se donne pour objet de « Lutter contre l’immigration clandestine et l’habitat illégal ». Mais dans la mesure où la seule politique conduite avec constance depuis des décennies se concentre seulement sur ces deux objets, comment espérer que cet ultime durcissement produise enfin les effets escomptés plutôt que de précariser davantage la situation socio-économique de l’ensemble des habitants de Mayotte et les maintienne durablement dans le sous-développement endémique que Chido n’a fait qu’aggraver ?

Poursuivre la lutte contre la population étrangère

Comment se décline à Mayotte l’obsession française contre les gens venus d’ailleurs ? Rapportée sur Mayotte, ile séparée de ses voisines de l’archipel par une frontière meurtrière et composée d’une population largement indifférenciée, les traitements anti-migratoires échouent à trier et à réduire malgré les efforts remarqués. Les développements démographiques des dernières décennies enseignent au contraire que ce type de mesures, sans cesse répétées en pire, est contre-productif (...)

dès lors qu’une discrimination se solidifie dans une loi se mettent en place des pratiques pour la neutraliser. Ainsi en va-t-il pour les restrictions sans fin apportées au « droit du sol ». Le choix d’un conjoint français et la recherche d’un père d’état-civil français qui reconnaîtra l’enfant à la naissance en lieu et place du père biologique étranger, relèvent de telles stratégies. Ce type d’entraide très particulier parait tout naturel de la part d’un frère du père, qui dans les Comores est appelé père. Ce type d’entraide s’inscrit dans des traditions locales où il n’est pas rare que les enfants soient confiés à des oncles ou tantes. La famille mahoraise ou comorienne n’est pas, comme en Europe, centrée sur le noyau parental biologique, mais elle s’élargit à tous les membres adultes qui peuvent suppléer temporairement ou durablement les parents d’état civil. La confiance, quant au souci de la garde, peut s’étendre à des relations non familiales : ainsi le lendemain de Chido, des enfants ont-ils été confiés pendant de longues journées à des personnes bienveillantes du voisinage ou de l’entourage amical, le temps pour les parents de se retourner.

C’est pourquoi les parents qui cherchent un père d’état-civil ne songent pas à tricher mais mobilisent simplement pour s’en sortir et se faciliter la vie les usages traditionnels disponibles. Bien sûr, l’État s’efforce de combattre ce qu’il nomme des « reconnaissances frauduleuses de paternité et de maternité ». Mais cela ne peut se faire sans une déculturation des habitants de Mayotte et une acculturation dans la France, qui demande du temps et de la violence et ce à quoi les gens de Mayotte ne semblent guère enclins à se résigner. (...)

Mayotte est gouvernée au bénéfice exclusif d’une minorité qui dispose des moyens financiers de vivre dans la légalité et qui ne coïncide pas à l’ensemble des nationaux autochtones dont une forte majorité hélas partage les conditions de vie exécrables des étrangers éloignés de l’emploi et de l’habitat légal (40% des Français de Mayotte).

La politique française, aussi dure et brutale soit-elle, est prise en étau entre la nécessité de protéger ses élites autochtones et métropolitaines et d’acheter leur loyauté par des traitements qui les élèvent bien au-dessus du lot commun, et la contrainte de reléguer et d’ignorer la population pauvre composée de nationaux et d’étrangers pourchassés pour conduites de survie illicites donc sans cesse réprimées. Ceci dans le but de décourager les migrations et d’épuiser ce qu’il est convenu d’appeler un appel d’air.

Après Chido, détruire, détruire, détruire

C’est dans cette perspective que la lutte contre l’habitat illégal devient un volet de répression essentiel.

Mayotte n’est plus que ruines. Qu’importe ! Le gouvernement s’obstine à détruire ce qu’il reste. Quatrième chapitre du second titre de la loi de refondation, la destruction des bidonvilles menée sans souci des familles délogées poursuit la politique de sape contre les populations pauvres entamées depuis des décennies. (...)

Alors que l’ile est totalement dévastée, les autorités n’ont cessé de détruire l’habitat pauvre à peine celui-ci remonté. (...)

Loi Refondation Mayotte et violence politique (2)

Pour le référent à Mayotte de la LDH, la loi Refondation Mayotte criminalise l’ensemble des actes de la vie des populations autochtones habitant sur l’ile.

Ci-dessous le second volet de l’analyse par Daniel Gros, référent de la Ligue des droits de l’Homme à Mayotte, sur la politique néo-coloniale française depuis le passage du cyclone Chido.

La loi Refondation Mayotte criminalise l’ensemble des actes de la vie des populations autochtones habitant sur l’ile. L’accès aux ressources, l’entraide, les circulations, les relations, tout est mis sous contrôle dans un fantasme de confinement utopien et de surveillance panoptique qui n’épargnent aucun aspect de la vie quotidienne jusqu’à l’intime.

Dès le lendemain du cyclone Chido, le discours que l’État entendait imposer à la population de Mayotte fut sans faux-fuyants : l’ile dévastée rend enfin possible une reprise en main ab initio et permet d’espérer l’achèvement du processus de rattachement à la France commencé il y a maintenant un demi-siècle et sans cesse contrecarré par le rappel constant des attachements à une histoire et un environnement partagés par l’ensemble des peuples de la région.

Mais aucune des tentatives menées à ce jour n’a exaucé les espoirs annoncés. Ni la loi Élan de 2018 qui autorise le préfet à détruire les logements des pauvres sous prétexte d’insalubrité, ni la loi Asile de la même année qui ébranle une première fois le régime du droit du sol, laissant sur le carreau des jeunes gens nés à Mayotte de parents étrangers, ni les opérations Wuambushu qui promettaient de résoudre, par les seules forces régaliennes, des problèmes sociaux liés à l’insécurité, à l’habitat illégal et à l’immigration clandestine, n’eurent le moindre effet sur la démographie, ni sur la part des étrangers dans la population.

Le rideau de fer, un fantasme utopien

À chaque fois, les autorités s’obstinent dans les mêmes politiques, dont elles croient corriger l’inefficacité en les durcissant par des surenchères répétées. Face à l’échec patent des reconduites à la frontière, elles imaginent « un rideau de fer » contre les arrivées incessantes de gens qui bravent les dangers de l’océan sur de frêles embarcations. L’idée d’un mur étanche comme réponse à l’immigration massive de Comoriens, conçue par Darmanin en janvier 2024[1], a été reprise par le président de la République quelques jours après Chido en même temps qu’il s’engageait à renvoyer aux Comores voisines 35 000 étrangers par an, alors que ses services peinent à atteindre l’objectif déjà annoncé en 2019 de 25 000 expulsions annuelles, sans effet sur la démographie, bien au contraire[2].

Renvoyer les étrangers, empêcher leur retour et ruiner leur existence, tel est le lot de calamités imaginées par le pouvoir afin de décourager les populations indésirables.

Contre toute raison, l’État persévère dans le fantasme d’une frontière étanche, d’un tri des populations possible et d’une France éternelle projetée à neuf mille kilomètres de la métropole.

L’idée d’un tel isolat irradie l’ensemble de la loi Refondation : séparer Mayotte de son environnement géographique et humain, criminaliser la totalité des actes de la vie quotidienne des gens modestes, leurs moyens de survie et l’accès aux ressources, afin de les disqualifier une bonne fois pour toutes. (...)

Une exception constitutionnelle pour dominer les indigènes indésirables

Malgré de telles atteintes contestées aux principes d’égalité de tout citoyen devant la loi, le Conseil constitutionnel a validé la loi Refondation[4] en totalité en vertu l’article 73 de la Constitution qui stipule que : « Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »

L’opportune réserve à l’unicité de la loi qu’offre l’article 73 verrouille tout espoir d’égalité dans la communauté nationale pour les anciennes colonies maintenues dans la France. Sont admises toutes les exceptions au droit commun et il devient superflu, dans ces conditions, de spécifier les « caractéristiques et contraintes » qui peuvent prévaloir en la circonstance, puisque les sages adhèrent spontanément au « mythe » qui maintient ces terres lointaines dans la France tout en excluant leurs habitants : « la population de Mayotte comporte, par rapport à l’ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu’un nombre élevé d’enfants nés de parents étrangers[5] ».

Comment cependant décider qui est français, qui est autorisé à résider sur l’ile, qui sera qualifié d’intrus indésirable, si les critères d’accès à la nationalité française ne sont pas stabilisés ni les conditions de droit à résidence ? Les modifications régulièrement apportées au principe du droit du sol ne garantissent pas que les conditions actuelles prévaudront à l’avenir. Déjà apparaissent des initiatives contre le double droit du sol, qui veut que des enfants nés en France d’un parent lui-même né en France soient français de droit (...)

Le fantasme d’une surveillance panoptique

Tous les habitants de Mayotte connaissent la brutalité exercée à leur encontre par l’État et ses représentants. La loi Refondation Mayotte légalise les mauvais traitements et décline un ensemble d’articles visant à rendre le territoire d’outre-mer inhabitable aux populations indésirables, dont les identités ne sont pourtant pas encore définies.

Déjà le montage d’un « rideau de fer » autour de Mayotte, bien plus militaire et électronique que physique, ne modifie pas fondamentalement la fermeture opérée antérieurement ; il la renforce en instaurant une surveillance panoptique de la population. Aucun lieu ne doit échapper, à aucun moment, au regard de l’État et de ses agents.

L’État est déjà parvenu à assurer un contrôle total des déplacements quotidiens de la population, grâce à une présence policière dotée du pouvoir de vérifier les identités en tout lieu et tout moment, d’interpeller et de priver de liberté sans délai les contrevenants à l’obligation de justifier d’un droit de résidence.

L’archipel de Mayotte est survolé en permanence par des drones de la gendarmerie. Si les autorisations préfectorales de survol sont limitées à une période de trois mois, elles peuvent en revanche être renouvelées sans restriction, offrant aux autorités un moyen de surveillance totale et permanente de tout le littoral et de la majeure partie des zones urbanisées. (...)

Comment les habitants de Mayotte vont-ils s’adapter face à ces atteintes aux droits fondamentaux commises par un État qui les maltraite tous sous prétexte qu’il ne se sent pas comptable de la moitié de la population — dite étrangère et partant indésirable — qui vit sur une terre qu’il revendique sans la moindre considération pour les peuples autochtones ?