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2013 : comment l’Europe se prépare à espionner ses citoyens
Article mis en ligne le 19 décembre 2012

Biométrie, vidéosurveillance, drones, détection des comportements anormaux, modèles mathématiques pour identifier des suspects... L’Union européenne finance plus de 190 programmes de recherche sur la sécurité et la surveillance. Au grand bénéfice des industriels, qui recyclent les technologies militaires pour surveiller les populations. Alors qu’un nouveau programme de recherche est en cours de discussion à Bruxelles, l’Europe continuera-t-elle à céder aux lobbys industriels et à investir des milliards dans le marché de la sécurité ?

Ils portent des noms étranges : Tiramisu, Pandora, Lotus, Emphasis, Fidelity, Virtuoso… En apparence, ce sont d’inoffensifs acronymes. En réalité, ils cachent 195 projets européens de recherche dans le domaine de la sécurité et de la surveillance. Des projets relativement inquiétants pour nos libertés. Et financés par l’Europe dans le cadre de partenariats public-privé.

Exemple le plus emblématique : le projet Indect (« Système d’information intelligent soutenant l’observation, la recherche et la détection pour la sécurité des citoyens en milieu urbain »), lancé il y a quatre ans, dénoncé fin octobre par des manifestations dans toute l’Europe. (...)

Indect est un système de surveillance, qui, à partir d’images et de sons captés dans l’espace public et d’informations glanées sur Internet, alerterait les services de police en cas de situation jugée dangereuse  : des personnes immobiles dans une rue passante, un mouvement de foule, des véhicules qui roulent au ralenti, un appel louche sur un réseau social. Ces critères « d’anormalité » seront définis par les forces de sécurité... Le tout alimentera un moteur de recherche. En plus d’espionner l’espace public, Indect assurera « la surveillance automatique et en continu de ressources publiques, comme les sites web, forums de discussion, réseaux P2P ou systèmes informatiques individuels ». Mais rassurez-vous : des outils pour masquer certaines données privées, comme les visages ou les plaques d’immatriculation sur les images vidéos, sont prévus. Les informations doivent être cryptées avant leur transmission aux services autorisés. Ouf ! (...)

« Le système peut très bien détecter une personne nouant ses lacets dans un magasin ou prenant des photos dans un hall d’aéroport, et considérer cela comme un comportement “anormal”. En réalité, le système ne sait pas s’il s’agit d’un comportement indésirable. Il détecte simplement un comportement qui s’écarte des comportements normaux que nous lui avons appris  », illustre le professeur Dariu Gavrila (cité par le site Owni) qui, au sein de l’université d’Amsterdam, travaille sur des algorithmes pour détecter les comportements agressifs. (...)

Pour répondre aux critiques, Indect s’est doté d’un comité d’éthique. Sa composition laisse songeur : parmi les neuf membres, on retrouve deux chefs des services de police impliqués et un industriel d’une des entreprises participantes... Son principe semble pour le moins ambigu : « La maxime "si vous n’avez rien fait de mal, alors vous n’avez rien à craindre" n’est valable que si tous les aspects de la justice criminelle fonctionnent parfaitement, dans toutes les occasions. » [2] Faut-il comprendre qu’un citoyen qui tombe par erreur dans les mailles sécuritaires d’Indect n’aura que peu de chance de s’en sortir !? « Les comités d’éthique qui accompagnent les projets comme celui d’Indect sont plutôt des alibis, estime l’eurodéputé allemand Jan Phillip Albrecht (Vert), qui a fait partie du comité d’éthique du projet Addpriv, qui vise à créer des outils pour limiter le stockage de données jugées inutiles et rendre les systèmes de vidéosurveillance « plus compatibles » avec le droit à la vie privée des citoyens. (...)

Indect est loin d’être le seul programme espion généreusement financé par l’UE. Arena [3] vise à créer un système mobile de surveillance, et est subventionné à hauteur de 3 millions d’euros. (...)

Cette future surveillance généralisée se décline dans les transports ferroviaires, les aéroports, et sur les mers, avec des projets notamment conçus pour refouler les migrants. Ce programme soulève de nombreuses questions, d’autant qu’il échappe à tout contrôle démocratique et toute objection de la société civile. « Les représentants de la société civile, les parlementaires, tout comme les organisations en charge des libertés civiles et des libertés fondamentales, dont les autorités de protection des données, ont largement été mis de côté », alerte un rapport commandé par le Parlement européen en 2010 [6]. Vive l’Europe des citoyens ! (...)

Une stratégie duale : les technologies développées à des fins militaires peuvent aussi se vendre sur le marché intérieur de la sécurité civile, pour la surveillance des migrants, des citoyens, des transports et des espaces publics. (...)

Le secteur n’est visiblement pas soumis à l’austérité. (...) Le budget du prochain programme, Horizon 2020, valable pour la période 2014-2020, devrait augmenter. La commission de la recherche et de l’industrie du Parlement européen a adopté le 28 novembre une première proposition [10]. Le montant global alloué à la recherche dépendra des discussions entre chefs de gouvernement des pays membres. Une chose est sûre : un volet entier sera de nouveau dédié à la sécurité civile, qui devrait recevoir 2,1% du montant global du programme-cadre. Soit 1,6 milliard d’euros. L’industrie de la sécurité dispose d’un allié au cœur du processus législatif européen. L’un des rapporteurs du texte Horizon 2020, le député conservateur allemand Christian Ehler, est président du conseil d’administration de la German european security association (GESA), une organisation lobbyiste qui regroupe des représentants de l’industrie allemande de la sécurité, de la recherche et des politiques. (...)

Les élus verts du Parlement européen ont réussi à introduire des critères d’impact social dans le programme. Tous les appels à projets dans le domaine de la sécurité devront être soumis à une évaluation préalable de leurs conséquences, sur les droits fondamentaux par exemple. (...)

A moins que la « compétitivité » des grands groupes du secteur de la sécurité ne prenne, une fois de plus, le dessus.