
Quelques instants après être entrée dans son nouvel appartement de Brooklyn, Daniris Espinal a prié. Les nuits suivantes, elle se réveillait et touchait les murs pour se rassurer, y trouvant un soulagement qui se transformait en larmes devant son café du matin. Ces murs ont pu être construits grâce à un programme fédéral qui paie le loyer de quelque 60 000 familles et individus fuyant le sans-abrisme ou la violence domestique. Espinal fuyait les deux. Mais le programme, Emergency Housing Vouchers (bons de logement d’urgence), est à court d’argent - et rapidement. Le financement devrait être épuisé d’ici la fin de l’année prochaine, selon une lettre du ministère américain du logement et du développement urbain, obtenue par l’Associated Press. Selon les analystes, il s’agirait de l’une des plus importantes pertes ponctuelles d’aide au logement aux États-Unis, et les expulsions qui s’ensuivraient pourraient jeter ces personnes - après plusieurs années passées à reconstruire leur vie - dans la rue ou dans des relations abusives.
"L’arrêt de ce programme remettrait complètement en cause tous les progrès réalisés", a déclaré Sonya Acosta, analyste politique au Center on Budget and Policy Priorities, qui étudie l’aide au logement. L’avenir du programme dépend du Congrès Le programme, lancé en 2021 par le président de l’époque, Joe Biden, dans le cadre de la loi sur le plan de sauvetage américain datant de l’époque de la pandémie, s’est vu allouer 5 milliards de dollars pour aider les personnes à sortir du sans-abrisme, de la violence domestique et de la traite des êtres humains. (...)
De San Francisco à Dallas en passant par Tallahassee, en Floride, des enfants, des personnes âgées et des vétérans se sont inscrits dans l’espoir que le financement durerait jusqu’à la fin de la décennie. Mais avec l’explosion du coût des loyers, ces 5 milliards de dollars se termineront bien plus vite. Le mois dernier, le HUD a envoyé des lettres aux groupes distribuant l’argent, leur conseillant de "gérer leur programme EHV avec l’espoir qu’aucun financement supplémentaire ne sera accordé par le HUD". L’avenir du programme repose sur le Congrès, qui pourrait décider d’ajouter de l’argent lors de l’élaboration du budget fédéral, mais c’est une perspective relativement coûteuse à un moment où les Républicains, qui contrôlent le Congrès, sont déterminés à réduire les dépenses fédérales pour se permettre des réductions d’impôts.
La représentante démocrate Maxine Waters, qui a défendu le programme il y a quatre ans, fait pression pour une nouvelle injection de 8 milliards de dollars. Mais les organisations qui font pression sur les législateurs républicains et démocrates pour qu’ils renouvellent le financement ont déclaré à l’AP qu’elles n’étaient pas très optimistes. Quatre législateurs du GOP qui supervisent les négociations budgétaires n’ont pas répondu aux demandes de commentaires de l’AP. Kim Johnson, responsable de la politique publique à la National Low Income Housing Coalition, a déclaré : "On nous a dit qu’il s’agirait d’un combat difficile". (...)
Espinal et ses deux filles, âgées de 4 et 19 ans, vivent avec l’un de ces bons dans un appartement de trois chambres dont le loyer mensuel s’élève à plus de 3 000 dollars - un montant qu’il est extrêmement difficile de couvrir sans le bon.
Il y a quatre ans, Mme Espinal s’est battue pour sortir d’un mariage où son mari contrôlait ses décisions, qu’il s’agisse de voir sa famille et ses amis ou de quitter l’appartement pour aller faire des courses. Lorsqu’elle s’exprimait, son mari lui disait qu’elle avait tort, qu’elle était dans l’erreur ou qu’elle était folle. Isolée et dans le brouillard de la dépression post-partum, elle ne savait pas quoi croire. "Chaque jour, petit à petit, j’ai commencé à ne plus me sentir moi-même", dit-elle. "Lorsqu’en mars 2021, elle a reçu des avis lui réclamant environ 12 000 dollars d’arriérés de loyer, ce fut un choc. Mme Espinal avait quitté son emploi à l’instigation de son mari, qui avait promis de couvrir les dépenses de la famille. Les rapports de police faisant état des accès de colère de son mari ont suffi pour qu’un juge lui confie la garde de leur fille en 2022, selon Mme Espinal.
Mais son avenir était précaire : elle était seule, devait des milliers de dollars d’arriérés de loyer et n’avait aucun revenu pour les payer ou subvenir aux besoins de son nouveau-né et de ses filles adolescentes. L’aide financière destinée à prévenir les expulsions pendant la pandémie a permis à Mme Espinal de se maintenir à flot, de payer ses arriérés de loyer et d’éviter à sa famille d’être hébergée dans des refuges. À cette époque, le programme de bons de logement d’urgence a été mis en place, ciblant les personnes dans la situation de Mme Espinal.
Selon Gina Cappuccitti, directrice des services d’accès au logement et de stabilité à New Destiny Housing, une organisation à but non lucratif qui a permis à 700 survivants de violences domestiques de bénéficier du programme de bons. Mme Espinal faisait partie de ces 700 personnes et a emménagé dans son appartement de Brooklyn en 2023. Le soulagement est allé au-delà de la recherche d’un endroit sûr pour vivre, dit-elle. "Aujourd’hui, elle met de l’argent de côté au cas où le pire se produirait. Car "c’est ce que je crains, perdre le contrôle de tout ce pour quoi j’ai travaillé si dur".