
La mairie d’Athènes veut construire une station de métro sur la place du quartier contestataire d’Exarcheia. Les habitants voient dans cette décision autoritaire une attaque politique contre l’esprit des lieux.
Les riverains présents ce jour-là n’en reviennent toujours pas. Le 9 août dernier, sur la place principale du quartier athénien d’Exarcheia, au beau milieu des vacances estivales et vers 4 h 30 du matin, une centaine de MAT — les policiers anti-émeute grecs, équivalents de nos CRS- - se sont déployés, accompagnés d’une poignée d’ouvriers. En quelques heures, la place a été barricadée de palissades de chantier et de barbelés. C’est ici, dans le cœur historique de ce quartier contestataire et en grande partie autogéré de la capitale grecque que doit se construire la station de métro desservant la zone.
Une décision pour le moins expéditive de la mairie d’Athènes, du ministère des Transports et du Métro de la région de l’Attique, qui avaient jusque-là peu communiqué sur le projet. « Il n’y a eu strictement aucune concertation publique concernant ces travaux, aucune information donnée aux habitants ou aux commerçants — et l’on parle d’un chantier censé prendre au moins huit ans — et, à ce jour, il n’y a toujours aucun affichage d’autorisation d’urbanisme, qui est obligatoire sur tous les chantiers. Cela montre bien l’opacité de ce projet », dénonce Barbara Svoronou, native du quartier et membre de l’initiative citoyenne Non au métro sur la place d’Exarcheia. (...)
Habituellement, en lieu et place du chantier, la plateia grouille d’initiatives citoyennes comme des stands solidaires et soupes populaires, mais aussi de structures telles qu’un centre de soins autogéré, ou encore un parc pour enfants construit par les habitants.
Alors, depuis cette nuit d’août, la lutte s’est organisée à Exarcheia. De nombreux habitants et opposants au projet se sont structurés en un comité inédit, qui mobilise aujourd’hui activement plusieurs centaines de personnes. Les rassemblements se sont multipliés et, le 24 septembre dernier, plus de 4 500 personnes ont manifesté contre le chantier. (...)
Nous ne sommes pas du tout contre une station de métro, qui est une bonne chose ; c’est son emplacement que nous dénonçons, qui est totalement injustifié », insiste Barbara.
Alternative rejetée
De nombreux résidents avaient notamment proposé une autre option de lieu, consolidée par une étude d’urbanistes, à trois rues de là, près du Musée archéologique d’Athènes. La proposition a été rejetée par les autorités, qui ont invoqué des difficultés de construction et de budget. (...)
De nombreux habitants considèrent, comme le dit Barbara, que « le choix de cet emplacement est politique plutôt que d’intérêt public. Il s’agit clairement d’une opération de destruction d’Exarcheia ». Chaque jour, la polémique enfle autour de la construction de la station. D’autant que le maire d’Athènes, Kostas Bakoyannis, neveu du Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis, relaye les discours belliqueux du gouvernement.
Dès 2019, à son arrivée au pouvoir, Kyriakos Mitsotakis annonçait des interventions policières drastiques « pour remettre de l’ordre » à Exarcheia, en évacuant plusieurs de ses squats autogérés — notamment ceux accueillant des migrants — dont il promettait la fin. Plus récemment, le maire usait de propos aux relents xénophobes, arguant que les opposants à cette station « n’étaient qu’une petite dizaine, en errance » et que beaucoup d’entre eux « ne sont même pas grecs ». Les gouvernements successifs et en particulier la droite conservatrice n’en sont pas là à leur premier bras de fer avec ce quartier unique en Europe, héritier des luttes antifascistes et très marqué à l’extrême gauche. (...)
L’identité contestataire d’Exarcheia est née il y a un demi-siècle, lorsqu’en 1973, sous la dictature des colonels, les étudiants grecs se soulevèrent contre la junte et occupèrent l’Université polytechnique nationale d’Athènes, située à 200 mètres de la place. Les militaires y pénétrèrent par la force, faisant officiellement au moins 24 morts dans un élan de répression, quelques mois avant la chute du régime. Les événements ont eu pour conséquence l’adoption, quelques années plus tard, d’un droit d’asile universitaire — interdisant à la police d’intervenir dans les universités, sauf en cas de crime —, levé en 2019 par l’actuel Premier ministre.
Exarcheia est devenu à partir de la fin des années 1970 un bastion des mouvances anarchistes grecques, un lieu d’affrontements récurrent entre libertaires, manifestants et forces de police, sans perdre pour autant son identité résidentielle et familiale, mais aussi artistique. (...)
le chantier du métro coïncide avec des travaux commencés sur la vaste colline de Strefi, autre lieu public emblématique du quartier. À la suite d’un accord en 2019 avec la mairie d’Athènes, la société Prodea Investments, l’une des plus grosses sociétés d’investissement immobilier du pays, s’est vue attribuer la prise en charge de la « réhabilitation » de cette colline sinueuse, offrant une vue d’exception sur l’Acropole.
« L’intérêt soudain pour un site qui avait été laissé à l’abandon par la mairie et dont seuls les habitants s’occupaient est étonnant », ironise Barbara. Les habitants, pourtant, y réclamaient vainement depuis de nombreuses années une amélioration des infrastructures et notamment de l’éclairage public et craignent à présent une privatisation du lieu. (...)
« Ce qui est sidérant, c’est que ce sont les deux quasi uniques espaces publics libres et verts du quartier qu’ils veulent détruire », raconte Nikos, résident du quartier et membre, comme Barbara, de l’initiative contre le métro sur la place. Très impliqué dans la vie du quartier, cet avocat de 54 ans s’investit presque quotidiennement dans l’entretien bénévole du parc autogéré de Navarinou, situé à quelques rues du chantier. (...)
« Imaginez deux hommes débarquer sur la place, à minuit trente, sans uniforme et avec une tronçonneuse », raconte la libraire. « Le bruit de la tronçonneuse a réveillé le voisinage et des habitants sont intervenus pour les empêcher de couper un deuxième arbre. »
Les interventions des riverains, qui se rassemblent à chaque coupe, ralentissent considérablement les travaux et le chantier semble avancer à pas comptés. « À chaque tentative de coupe d’arbres, nous serons là », prévient la quadragénaire. (...)
Malgré la ténacité des habitants, leur inquiétude est palpable. D’autant qu’Exarcheia, déjà fortement affectée par la politique d’expulsion des squats du gouvernement Mitsotakis, est en proie, depuis plusieurs années, à un embourgeoisement grandissant et une explosion des locations saisonnières.
Celle-ci est notamment liée au tourisme toujours croissant que connaissent le pays et sa capitale. Les squats et les petits commerces disparaissent peu à peu au profit de cafés branchés ou de bureaux. (...)
Comme de nombreux opposants au projet, Kiki ne doute cependant pas un instant de l’aboutissement de leur combat. « Vont-ils garder durant dix ans ces policiers ici, en guise de sécurité privée, au frais du contribuable ? Vont-ils aller jusqu’à nous passer dessus physiquement ? »
Huit ans d’omniprésence policière ?
Car la question de la surveillance policière du chantier, dont les travaux doivent prendre au minimum huit ans, pose question. Depuis le début du chantier, en août dernier, la centaine de policiers et d’agents anti-émeutes mobilisée n’a plus quitté la place ni les rues alentours, se relayant 24 heures sur 24. (...)
Explosion des violences
Depuis le mois d’août, les cas de violences policières ont explosé et des incidents sont relayés quasi quotidiennement par la presse ou les réseaux sociaux. Par exemple, une passante, a été traînée, puis frappée dans le chantier début septembre par des policiers surveillant le site.
Début octobre, un parent d’élève d’une école primaire d’Exarcheia s’est fait rouer de coups devant ses enfants, sur le terrain de basket municipal situé au pied de la colline Stréfi, avant d’être interpellé. Le 3 octobre, lors d’une manifestation contre le projet, un photojournaliste étasunien a été agressé par des policiers anti-émeute. Plusieurs restaurants attenants au chantier ont également rapporté des cas de violences policières sur leurs employés. (...)
Le bras de fer entre opposants au métro et autorité n’en est qu’à ses débuts, y compris sur le plan juridique. Une pétition a été mise en ligne, et les habitants mobilisés comptent déposer un recours auprès du Conseil d’État pour réclamer une suspension temporaire des travaux. (...)