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A Barcelone, une communauté écolo et autogérée ouverte sur le monde
Article mis en ligne le 5 juillet 2017

Niché dans les collines du parc naturel de Collserola, à l’ouest de Barcelone, l’écovillage Can Mas Deu occupe depuis quinze ans les murs d’une ancienne léproserie. Près de trente personnes y vivent, prônant l’autogestion, la reconnexion avec la nature et la « désobéissance créative ».

(...) Au début des années 2000, un groupe de gens appartenant aux mouvements sociaux cherchaient un site pour préparer une rencontre internationale sur le climat. Ils s’installèrent dans cette ancienne léproserie, désaffectée depuis 40 ans. Une occupation qui déplut au propriétaire, l’hôpital de Sant Pau, qui demanda leur expulsion par la police, afin de transformer les bâtiments en résidences privées pour médecins aisés. Mais les habitants résistèrent lors d’un siège de trois jours, soutenu par plusieurs centaines de Barcelonais. L’affaire fut portée devant les tribunaux et le juge déclara alors que « le droit à la vie est plus important que le droit à la propriété ». Cependant, l’acharnement judiciaire a continué. En 2005, le tribunal de première instance de Barcelone estimait que l’hôpital pouvait récupérer l’utilisation du bâtiment tout en reconnaissant la légitimité du projet en cours, exhortant les deux parties à « trouver un accord »

Depuis, les habitants sont expulsables à tout moment, mais bénéficient d’une certaine « protection » depuis l’arrivée à la mairie d’Ada Colau, une ancienne militante du droit au logement, et de sa liste citoyenne, Barcelona en Comù. La ville de Barcelone fait en effet partie de la structure qui, avec la région et l’archevêché, dirige l’hôpital de Sant Pau. L’épée de Damoclès ne risque pas de se décrocher. Du moins pas avant les prochaines élections, prévues dans deux ans.

« C’est un lieu particulièrement agréable pour se poser, pour réfléchir ensemble »

Après quinze années d’occupation, Can Mas Deu a désormais acquis une certaine légitimité morale et surtout une utilité sociale, avec la gestion de trente-trois parcelles de potagers communautaires pour les voisins, soit environ soixante à quatre-vingt personnes, principalement des retraités. Il programme aussi de multiples activités sociales et éducatives autour de l’environnement ou de l’agroécologie. Des collectifs politiques et militants y organisent leurs réunions, à l’instar de Barcelona en Comù, dont les membres ont passé de longues soirées à préparer ici leur stratégie électorale. « C’est un lieu particulièrement agréable pour se poser, pour réfléchir ensemble », confirme Emma Avilés, une militante du 15-M [mouvement dit aussi des Indignés, né le 15 mai 2011 avec l’occupation de la place Puerta del Sol à Madrid] active dans différents collectifs, comme la plateforme d’audit citoyen de la dette. La dimension politique est au cœur de la philosophie des habitants et résumée sur le site internet : ici on lutte contre « le monde de l’argent, le bruit et la rapidité » ; on propose de créer un nouveau paradigme « une proposition de coopération collective et de coexistence entre les générations » et on veut soustraire les espaces publics de la logique mercantile. (...)

Plusieurs classeurs recensent l’ensemble des lieux occupés et communautés autonomes dans toute l’Espagne. Un mur est recouvert de petites annonces de gens cherchant à intégrer un écovillage ou à réunir un collectif pour lancer son projet. Au fond, un « magasin » où l’on s’échange gratuitement des vêtements.(...)

S’ils prônent l’autogestion, les habitants de Can Mas Deu sont loin de vivre en autarcie et son ravis de partager un peu de leur quotidien, sans pour autant se laisser envahir.(...)

Can Mas Deu a célébré ses quinze ans de « résistance » en mai dernier.
« Il existe une cohésion du groupe, fondée sur des compromis ainsi qu’une bonne gestion des conflits »

Les habitants ont également appris à trouver un équilibre entre vie personnelle et vie communautaire, chacun s’aménageant comme il peut des moments d’intimité. « Nous sommes tous liés, sans pour autant être tous forcément de très bons amis. Il existe une cohésion du groupe, fondée sur des compromis ainsi qu’une bonne gestion des conflits », explique Claire Fausset, une Anglaise qui vit ici depuis une année. Elle se souvient notamment de l’été 2016, lorsque la sécheresse les avait contraints à d’importants rationnements d’eau. Un moment difficile, où les tensions étaient vives. Pour résoudre les conflits, il existe une commission « communiquons » composée de deux personnes, chargées de faciliter la médiation. Des journées sont également dédiées à prendre le « pouls émotionnel des membres ». (...)

La clé de la longévité tient également dans l’organisation et la répartition du travail communautaire : soit six heures tous les jeudis pour nettoyer la maison, réparer les bâtiments, s’occuper du potager, du poulailler, des courses. Chaque heure est comptabilisée dans un fichier Excel pour que, à la fin de l’année, tous les membres doivent avoir effectué au moins 70 % du temps de travail communautaire. Sans quoi, il leur faudra compenser. (...)

La vie en communauté est assez chronophage. C’est pourquoi la plupart des habitants n’exercent qu’une activité à temps partiel : ils enseignent l’anglais, le yoga ou font de la restauration… Côté financier, chacun contribue aux frais communs à hauteur de 65 euros par mois, comprenant notamment la nourriture sèche, internet, l’usage de la fourgonnette. (...)

. Toutefois, vivre dans un tel endroit, à priori enchanteur, n’est pas donné à tout le monde. « Il ne faut pas idéaliser : il y a autant de côtés positifs que de côtés négatifs. Pour que le groupe fonctionne, il faut être disposé à changer les choses, à travailler sur les conflits, à être capable d’écoute et d’empathie, à penser le bien commun », conclut Esther Cerro.