
Ils n’étaient pas des experts en gestion, et pourtant ils l’ont fait. Après avoir été mal dirigée par un grand groupe, puis par un fond d’investissement, la librairie Les volcans, à Clermont-Ferrand, a été reprise en société coopérative (Scop) par douze de ses salariés. Quatre ans après cette opération, qui a bénéficié d’un fort soutien local, Bastamag est allé à la rencontre de ces libraires, papetiers et disquaires. Avec 44 salariés aujourd’hui, une quatrième année bénéficiaire, le succès de la librairie ne se dément pas. Voici l’histoire, à contre-courant des tendances actuelles, de ces professionnels qui ont réussi à reprendre la main sur leur outil de travail, et leur passion.
A Clermont-Ferrand, on dit de la librairie des Volcans qu’elle est « une institution ». Ses linéaires de vitrines longent, sur plusieurs dizaines de mètres, un grand boulevard du centre-ville. Depuis sa reprise en coopérative par les anciens salariés, il y a quatre ans, le succès de cette belle et grande librairie – 1683 m2 de surface commerciale ! – ne tarit pas. « Nous sommes aujourd’hui 44 salariés et les choses fonctionnent bien d’un point de vue économique », confirme la gérante Martine Lebeau. « C’est la quatrième année que nous sommes bénéficiaires, et qu’il y a des dividendes pour les associés ! » Et notamment pour les salariés, dans cette société coopérative et participative (Scop).
Rien n’était pourtant joué d’avance. Martine Lebeau fait partie des douze salariés qui, en 2014, ont injecté la totalité de leurs indemnités de licenciement et 50 % de leurs droits au chômage pour contribuer à l’offre de reprise de la librairie. « On a mis tout ce qu’on pouvait dans ce projet de Scop. Neuf salariés avaient entre 15 et 30 ans d’ancienneté dans la librairie. On se sentait déjà un peu propriétaires je pense... Nous étions convaincus de bien travailler, et nous avons eu la chance de bénéficier d’énormément de soutiens. Et le résultat a été au rendez-vous. »
Une libraire historique plombée par des investisseurs extérieurs (...)
La situation se gâte lorsqu’elle tombe en 2005 dans l’escarcelle du groupe allemand de médias Bertelsmann (qui possède notamment la radio RTL). « Ils ont voulu nous faire travailler comme à France loisirs dont ils sont aussi propriétaires, en appliquant le principe du livre toujours placé au même endroit, la fidélisation par l’abonnement, se remémore Martine Lebeau. Dans une librairie indépendante, on fidélise d’une autre façon : par le conseil, les contacts, les relations nouées avec le client. » (...)
Le groupe Bertelsmann enchaine les erreurs et plombe peu à peu le résultat de l’entreprise. La librairie est finalement revendue en 2010 au groupe Najafi, un fonds de pension américain, avant d’être mise en liquidation judiciaire en décembre 2013. 57 librairies sont concernées et disposent d’à peine deux mois pour trouver un repreneur – la date butoir est fixée au 10 février 2014 – sous peine d’être fermées définitivement.
Passer le cap de la reprise en Scop
Quand pointe le mois de janvier 2014, il n’y a toujours pas d’offre de reprise à Clermont-Ferrand. Les 33 salariés menacés par la fermeture décident d’organiser une réunion d’information avec l’Union régionale des Scop (UR-Scop) en vue d’identifier d’éventuelles solutions. Aucun d’entre eux n’est familier avec le champs de l’économie sociale et solidaire. (...)
En dépit des obstacles, les salariés montent un dossier en trois semaines avec le soutien de l’UR-Scop. Le directeur général de la librairie, appelé à la rescousse pour la restructuration, appuie auprès d’un juge à Paris une demande de prolongation. Deux mois et demi de sursis sont accordés aux salariés pour étayer leur dossier.
« Il a fallu expliquer notre métier, et nous avons réussi »(...)
Des soutiens affluent de toutes parts. Des clients viennent spontanément donner de l’argent, et l’association des amis de la Librairie des volcans est créée. Plus de 45 000 euros sont collectés via une campagne de financement participatif [1]. Le conseil régional vote une subvention de 72 000 euros au titre de la création d’emplois, et l’agglomération participe à hauteur de 100 000 euros. « On a trouvé dix financeurs différents, avec un risque maximum de 200 000 euros chacun », détaille Martine Lebeau. Deux banques acceptent de suivre le projet de reprise. (...)
« Il n’y a surtout pas d’objectif chiffré »
Voilà maintenant plus de quatre ans que la librairie Les volcans, version coopérative, a rouvert ses portes. Dans les rayons, chaque responsable est autonome sur ses commandes et sur la manière de gérer sa vitrine. « Il n’y a surtout pas d’objectif chiffré, insiste Martine Lebeau. On ne raisonne pas rayon par rayon, mais de manière globale ce qui favorise l’entraide entre les salariés. » S’il n’y a pas de prime à la vente, une prime d’intéressement a été mise en place : elle est partagée équitablement entre les salariés. 33 % des bénéfices retournent aussi, chaque année, à ces derniers. Concernant les salaires, le plus élevé se monte à 2,5 fois le Smic. (...)
Sur les 44 salariés, 21 sont aujourd’hui sociétaires et bénéficient d’un retour sur leur investissement. Les associés se réunissent une fois par mois, et ont voté deux fois en quatre ans. (...)
Alors que de plus en plus de petites communes perdent leurs librairies, des mobilisations émergent en France pour tenter de les sauver. La librairie des Volcans est régulièrement sollicitée pour témoigner de son expérience [3]. La clé de cette reprise réussie ? « Un "alignement des planètes", une conjonction d’éléments qui ont fait que le projet a pu voir le jour », commente Arnoult Boissau. Outre la motivation des salariés, il souligne la forte mobilisation locale, les soutiens des services de l’État et des collectivités, ainsi que l’accompagnement dont les salariés continuent de bénéficier. Sans compter la fidélité des clients. (...)