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Reporterre
À Dijon, l’« espionnage d’État » cible des militants politiques
#surveillance #technopolice
Article mis en ligne le 28 janvier 2023

En octobre 2022, les habitants des Lentillères et des Tanneries à Dijon ont trouvé des caméras de surveillance dissimulées devant ces deux lieux militants. L’œuvre de la police, selon eux.

« Nous sommes sous le choc, mais pas surpris. » À Dijon, les habitants du jardin des Lentillères et de l’espace autogéré des Tanneries — deux lieux militants emblématiques de la ville — ont fait une découverte pour le moins déconcertante. En octobre dernier, ils ont trouvé deux caméras camouflées dans des boîtiers électriques, perchés à 7 mètres de hauteur juste devant chacun des deux portails.

Ces caméras filmaient, en continu, l’entrée des lieux, surveillaient massivement les allées et venues et contrôlaient les plaques d’immatriculation. Une des caméras donnait même directement sur la fenêtre d’une chambre. Des dispositifs assez sophistiqués : ils pouvaient être activés à distance pour allumer et faire pivoter les caméras. Une antenne permettait aussi de transmettre directement les vidéos et les informations récoltées. Aujourd’hui, elles ont été enlevées. (...)

Contactées par Reporterre, ni la préfecture ni la gendarmerie nationale n’ont voulu confirmer l’intuition des habitants. D’après ces derniers, les caméras auraient été posées dès 2019. Ils l’ont compris en épluchant leurs albums photos privés. Sur certaines d’entre elles, en arrière-plan, derrière les sourires, les fêtes et les banquets, se trouvaient ces petits boîtiers blancs accrochés à un poteau en béton. En utilisant les archives de Google Street View, ils ont pu constater que la première pose des caméras remontait également à 2019. (...)

En trois ans, ces caméras ont pu, en effet, accumuler une quantité gigantesque de données, identifier des milliers de personnes et surveiller des dizaines d’événements, de rencontres et de concerts. (...)

« C’est un espionnage long et diffus qui a été mené à l’encontre de tout un milieu politique, dans sa diversité, soutient Jeremy. Le fait que l’on ait découvert ces caméras à la fois aux Tanneries et aux Lentillères montre que l’on a voulu cibler des militants et celles et ceux qui tentent de vivre en dehors de la norme. » (...)

Quatre-vingts personnes vivent aux Lentillères. Une dizaine aux Tanneries. Au quotidien, ils expérimentent ensemble des formes de vie collective, en dehors de l’économie marchande, comme le racontait déjà Reporterre en 2018. Les activités qu’ils mènent sont multiples : impression de brochures, atelier de réparation, centre d’archivage, spectacle, maraîchage, etc.

Des dizaines d’associations nationales ont pu se retrouver sous surveillance. (...)

Les militants s’interrogent : pourquoi les autorités ont-elles installé un tel dispositif ? Une instruction judiciaire est-elle en cours ? Le parquet a refusé de donner suite à notre demande d’information. Mais, selon les militants, à leur connaissance, « il n’existe pas en ce moment de menace précise et aucune procédure d’expulsion n’est prévue ». Les Tanneries bénéficient d’une convention avec la mairie arrachée de haute lutte, tandis que l’avenir des Lentillères est en cours de discussion.

Les habitants dénoncent « une surveillance policière illégale » et comptent bien organiser une « riposte juridique ». Ils envisagent de porter plainte (...)

« Cette affaire ne doit pas rester impunie, elle doit créer un sursaut de mobilisation, estime Jeremy. On assiste depuis plusieurs années à un glissement vers une société de contrôle, où le gouvernement criminalise de plus en plus violemment ses opposants. »

Selon lui, les vidéos récoltées serviraient à alimenter les notes blanches — des fiches ni datées ni signées — des renseignements généraux. (...)

Au-delà de ces caméras, ces habitants subissent déjà une forte pression policière. Des voitures de police banalisées sillonnent régulièrement leur quartier et leur courrier est systématiquement ouvert, affirment-ils. « Même les lettres d’amour ! » (...)

Dans un communiqué, les Dijonnais insistent pour inscrire cette affaire dans un cadre plus général. En mars dernier, Julien Le Guet, un des porte-paroles de Bassines non merci avait lui aussi découvert une caméra devant le domicile de son père. Il y a un an, un micro avait également été trouvé dans une bibliothèque anarchiste à Paris. À la zad du Carnet (Loire-Atlantique), une caméra avait été installée devant une barricade tandis qu’à Bure (Meuse), une rencontre des comités de soutien avait été filmée.

« On ne se laissera pas intimider ni décourager, souligne Nora. On sait qu’ils font cela pour nous briser, nous faire peur, mais nous ne nous arrêterons pas. » Au contraire, les militants appellent à un rassemblement à Dijon le 18 février. Un bal masqué contre l’espionnage d’État. « Si les autorités veulent des ennemis politiques, c’est comme ça qu’ils vont en fabriquer. »