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À Genève, l’épidémie de Covid-19 a fait exploser le tabou de la pauvreté
Article mis en ligne le 11 juin 2020

(...) À Genève, les mesures de confinement prises à partir de la mi-mars pour ralentir la propagation du coronavirus ont mis des milliers de travailleurs et travailleuses précaires sur la paille. Les images de files d’attente de centaines de personnes lors de distribution de denrées alimentaires dans les rues de la ville ont fait le tour des médias et ont marqué les esprits dans une ville parmi les plus riches au monde où la pauvreté n’est pas un vrai sujet. (...)

« Une soupe populaire est passée de 200 à 950 repas »

« Genève est le hotspot. Mais d’autres grandes villes sont touchées. À Lausanne, une soupe populaire est passée de 200 à 950 repas ces dernières semaines », note la députée socialiste et membre du Conseil national suisse Ada Marra. Le Centre d’action sociale protestant (CASP) a également enregistré une très forte hausse des demandeurs et demandeuses d’aide. (...)

Un questionnaire réalisé conjointement par Médecins sans frontières et l’Hôpital universitaire de Genève (HUG) auprès de 532 personnes bénéficiaires d’aide alimentaire de la ville donne une idée de la population dans le besoin : 52% sont des sans-papiers, 28% sont des étrangèr·es avec un permis de séjour et 3,4% sont des Suisses. (...)

Habituellement employée dans les restaurants, les ambassades, les hôtels ou pour les plateformes de livraison, cette population étrangère en situation précaire a payé les pots cassés du confinement. « On estime le nombre de sans-papiers entre 100.000 et 300.000 à Genève », témoigne Patrick Wieland, le chef de mission de Médecins sans frontières Covid-19 en Suisse.

Sur les bords du lac Léman, les travailleurs et travailleuses précaires ont fait les frais du très libéral marché du travail suisse. (...)

Beaucoup de travailleurs et travailleuses étrangères sont employées de manière légale et cotisent pour l’assurance maladie ou le chômage, mais n’ont aucun droit à la fin de leur contrat. (...)

« Il y a les profils habituels de personnes qui n’ont pas droit au chômage, parce qu’elles cumulent les petits jobs sans cotiser du tout ou pas suffisamment aux assurances sociales. La grande majorité de ces personnes provient du secteur de la restauration, de l’hôtellerie ou de l’économie domestique », décrit-elle.

Depuis le début de la crise, l’Hospice général enregistre une croissance exponentielle des nouvelles demande d’ouvertures de dossiers pour des aides. (...)

« La grande nouveauté, avec la crise, c’est l’apparition en masse des indépendants : plus de 200 nouvelles demandes par mois, contre cinq à dix en temps normal », poursuit-elle.

Parmi ces indépendant·es qui ont demandé une aide à l’Hospice général, 45% sont des conducteurs ou conductrices de taxi, 7% proviennent du domaine de l’esthétique, 5% de la prostitution et 4% du bâtiment. (...)

L’épidémie du nouveau coronavirus a provoqué un effet ciseau encore plus dévastateur qu’une récession classique. Privés de revenus, les sans-papiers ou les personnes étrangères détentrices de permis de séjour n’ont pas eu accès au système de santé en pleine propagation du SARS-CoV-2.

Ces gens étaient pourtant plus durement touchés par le virus du fait de la promiscuité, vivant souvent à plusieurs dans de petites logements pendant le confinement. (...)

D’habitude, MSF opère dans des pays en proie au chaos très loin de l’opulente Suisse. Mais le Covid-19 a jeté à la figure de la confédération helvète le sort peu envieux de ses pauvres. (...)

« Il me semble que la misère / serait moins pénible au soleil », chantait Charles Aznavour. Il aurait pu ajouter qu’elle est d’autant plus difficile à vivre dans un pays très riche. « Être pauvre, c’est porter de la culpabilité. On se dit qu’on est responsable de sa situation. C’est particulièrement vrai en Suisse, en partie parce que le marché du travail est détendu. Les gens estiment que si une personne n’a pas de travail, c’est de sa faute », constate René Knüsel.

Les longues files d’attente observées à Genève lors des distributions de denrées alimentaires pendant le confinement ont donc brisé un tabou. (...)

Cette visibilité soudaine des plus démuni·es a permis de briser la glace. Le conseiller d’État Thierry Apothéloz a ainsi proposé de créer un fonds d’urgence de 15 millions de francs suisses pour venir en aide aux précaires qui n’ont pas le droit aux aides sociales. « Tout d’un coup, on a rompu avec l’hypocrisie. Un grand nombre de personnes voient les gens en situation illégale comme des profiteurs. Mais non. Ils cotisent parfois à une caisse maladie tout en ayant eux-mêmes de grosses franchises qui les empêchent de consulter. Il faut changer le regard sur ces personnes », affirme Dominique Froideveaux, le directeur de Caritas. (...)

Le fonds d’urgence discuté en commission des finances est pour le moment contesté par l’opposition de droite, « pour qui la proposition du ministre reviendrait à légitimer le travail au noir », explique le journal Le Temps.

En ce début du mois de juin, la circulation du nouveau coronavirus est très faible en Suisse, qui comptait 1.923 décès au 9 juin. Il n’empêche que les téléphones des organismes d’aide sociale sonnent encore. (...)