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Mediapart
A Mayotte, la France recrute des navires privés pour stopper les migrants
Article mis en ligne le 30 janvier 2021

Mediapart révèle que la préfecture s’est lancée, au prétexte de la pandémie, dans une collaboration avec des sociétés nautiques privées pour surveiller les frontières maritimes de l’île. Du jamais vu. Du « temporaire », promet la sous-préfète.

(...) De l’approche des dauphins à la protection des frontières : c’est à une réunion de réorientation professionnelle inédite que les entreprises du monde nautique ont été conviées par la préfecture de Mayotte, mercredi 20 janvier. Par SMS et par mail, tous les clubs de plongée, tour-opérateurs ou croisiéristes de ce département d’outre-mer ont reçu, de la part de « Madame Gimonet, Sous-Préfète en charge de la Lutte contre l’Immigration Clandestine », une invitation pour « une réunion d’information sur la protection des frontières ». Au menu : un appel à volontaires pour surveiller les eaux françaises face aux embarcations de migrants venus des îles voisines des Comores (surnommées « kwassas-kwassas »). (...)

D’après nos informations, la soirée a été fructueuse. Au moins deux contrats ont été passés entre les services de l’État, que la circulation du variant sud-africain dans la région inquiète au plus haut point, et des entreprises du secteur touristique. Du jamais vu. Chaque « prestataire », rémunéré à la vacation, se voit attribuer une zone. Puis des points GPS « de détection des échos » (selon le jargon maritime) leur sont indiqués afin qu’ils aillent vérifier quel type d’embarcation approche… Si le point GPS « suspect » est un kwassa-kwassa, en provenance de l’île d’Anjouan bien souvent, l’un des huit intercepteurs de la police aux frontières est dépêché sur place.
La rémunération ? Confidentielle. Interrogée par Mediapart, la préfecture répond simplement, et le plus sérieusement du monde, qu’il n’y a « pas de prime au kwassa » détecté.
(...)

« Quand j’ai vu le mail, j’ai décidé immédiatement de ne pas y aller, explique un patron d’un club de plongée mahorais, qui souhaite garder l’anonymat. La police aux frontières, l’armée, la Légion, il y a tout à Mayotte… J’ai fait savoir qu’avec d’autres, on était choqués de la démarche, que ce n’est pas notre métier. »

contrairement à certaines rumeurs alimentées par des sentiments xénophobes, une seule personne a été testée positive au variant à sa descente d’un kwassa. « Certains sujets sont sanitaires, d’autres n’ont rien à voir : les kwassas font partie de la deuxième catégorie », tranche une source dans l’administration française. (...)

Le recours aux pêcheurs serait également à l’étude, ainsi que la mise en place d’un numéro vert auquel signaler toute embarcation « suspecte ». (...)

Pour lutter contre l’épidémie, en tout cas, la France a fermé les frontières de Mayotte ces derniers jours. Dans un seul sens, cependant. (...)

les expulsions de ressortissant comoriens (ou de personnes présentées comme telles par la police aux frontières) se poursuivent, et à un rythme soutenu. Six bateaux chargés de sans-papiers quittent chaque semaine la gare maritime de Pamandzi (sur l’île française de Petite-Terre) pour gagner Anjouan (Comores).
« On reconduit des personnes en pleine pandémie dans des endroits où il n’y a pas d’infrastructures sanitaires, s’indigne Solène Dia, chargée de projet au groupe local de la Cimade. Par ailleurs, ces personnes vont revenir puisqu’elles ont toutes leurs attaches familiales sur le territoire et qu’elles n’auraient jamais dû faire l’objet d’une expulsion. »
De son côté, un juriste connaisseur de la situation au Centre de rétention administrative (CRA) de Mayotte, où sont enfermés les sans-papiers en vue de leur éloignement, affirme qu’« il y a une multiplication des cas positifs au CRA.
(...)

« Au lieu de renforts de police, il nous faudrait des infrastructures, se désole Mahamoud Azihary, porte-parole d’un collectif – modéré – de citoyens mahorais. Rien n’est fait sur le fond et la terreur, en réalité, est entretenue par les autorités françaises. Il y a des crimes atroces qui se déroulent à Mayotte et personne n’en parle au niveau français. Est-ce qu’on est des compatriotes ? On vit en vase clos, on se fait humilier et personne ne s’intéresse à notre sort. »