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À Vittel, Nestlé privatise la nappe phréatique
Article mis en ligne le 29 mai 2018
dernière modification le 28 mai 2018

À Vittel, dans les Vosges, Nestlé Waters et les habitants pompent la même eau. La ressource se réduisant de façon préoccupante, les autorités locales veulent la faire venir des environs pour abreuver la population. La multinationale, elle, pourra continuer de puiser dans le sous-sol.

Une longue file de camions coule à travers les rues de Vittel en direction de l’autoroute A31. Dans leurs immenses bennes, des milliers de bouteilles d’eau attendent de se déverser dans les rayons des supermarchés français et européens… D’Allemagne au Japon, on s’abreuve d’eau vosgienne. Qu’elles s’appellent Hépar®, Contrex®, Vittel®, chaque goutte provient de ces sous-sols vosgiens riches en minéraux. Et chaque centime revient dans le portefeuille de Nestlé Waters, propriétaire des marques.

Des centaines de millions de litres du précieux liquide sont ainsi extraits, chaque année, des profondeurs lorraines. Tant et si bien qu’une de ces nappes souterraines, la plus profonde et la plus importante, est menacée d’épuisement. Mais plutôt que d’exiger de la multinationale qu’elle réduise ses prélèvements, élus et industriels envisagent ni plus ni moins de serrer la ceinture hydrique des habitants. Bientôt, à Vittel, l’eau des robinets ne proviendra peut-être plus du sous-sol, mais sera acheminée par pipeline sur des dizaines de kilomètres (...)

« La commune de Vittel s’est construite autour de son eau, elle lui a tout sacrifié, raconte Bernard Schmidt, Vittellois et membre de l’association Oiseaux nature. Mais ce qui se passe aujourd’hui, c’est la prise en main coloniale d’un territoire et la privatisation du bien commun qu’est l’eau. »(...)

il faudra attendre 2010 pour que le problème de l’épuisement soit pris au sérieux. Entre-temps, Nestlé Waters est devenu propriétaire des marques en 1992. La multinationale a augmenté le nombre de bouteilles et diminué le nombre d’employés (passés de 4.500 en 1975 à 900 aujourd’hui). Elle pompe désormais près de 800.000 m3 d’eau par an (soit 800 millions de litres) de la nappe GTI et exporte l’eau à l’étranger sous la marque Vittel Bonne source. Or, le déficit de la nappe est environ d’un million de mètres cubes par an. Ainsi « Nestlé serait responsable de 80 % du déficit », estime Jean-François Fleck, de Vosges nature environnement.

Un petit point de géologie locale s’impose ici. Les sous-sols de Vittel sont gorgés d’eau, répartie dans plusieurs « poches ». Les poches les plus superficielles, très riches en minéraux, sont exploitées par Nestlé Waters et commercialisées sous les marques Hépar, Contrex et Vittel Grande source. En revanche, elles ne peuvent pas servir à l’approvisionnement des habitants, car elles dépassent les seuils fixés de minéralisation.

« Nestlé crée le déficit, mais on fait payer les consommateurs, c’est le monde à l’envers »
C’est donc dans la poche la plus profonde, la fameuse nappe GTI, que puisent les Vittellois pour boire. Mais c’est aussi dans cette poche que Nestlé Waters se sert pour remplir ses bouteilles de Vittel Bonne source. (...)

De comité technique en réunion, les associations ont découvert qu’au lieu d’affiner et de débattre des différentes hypothèses possibles pour réduire le déficit de la nappe souterraine, une seule et unique solution semblait se dessiner. « On a vite compris qu’il n’était pas question de demander aux industriels de se serrer la ceinture, raconte Jean-François Fleck. Mais comme il fallait trouver un moyen pour moins pomper, ils ont décidé d’aller chercher de l’eau ailleurs pour les habitants. » C’est ce qu’on appelle pudiquement la « substitution ». (...)