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À propos d’une vidéo sur la mort de Clément Méric : bidouillages et journalisme d’approximation
Article mis en ligne le 4 juillet 2013

Le 25 juin, à 6 h du matin, RTL révélait à l’antenne et sur son site l’existence d’une vidéo de l’agression qui a coûté la vie à Clément Méric, militant antifasciste et syndicaliste étudiant de 18 ans. Quelques heures après la publication de cet article et dans les jours qui suivent, plusieurs articles viennent pourtant mettre en doute cette « information » : non seulement la vidéo ne permettrait pas de voir à plus de vingt centimètres au-dessus du sol (selon une source policière citée par Libération), mais elle ne proviendrait pas en outre, selon le magazine Politis, d’une caméra de la RATP. Entre-temps, la circulation circulaire des approximations a fait son œuvre…

(...) Quelques heures après la mort de Clément Méric, nombre de médias ne se sont pas contentés, si l’on ose dire, de se livrer, comme nous le soulignions dans notre communiqué (« La récupération médiatique de la mort de Clément Méric ») à une surenchère de commentaires indécents au détriment de la vérité factuelle : ils ont prétendu savoir avant de savoir. Parmi eux, L’Express a atteint des sommets. Sous le titre « Ce que l’on sait de l’agression de Clément, 19 ans, par des militants d’extrême droite », sur la foi de témoignages qui ne sont même pas mentionnés et à l’abri d’un mélange consternant de conditionnel et d’indicatif, L’Express du 6 juin 2013 pouvait écrire : « Les skinheads auraient alors été sortis par la sécurité. Mais loin de rebrousser chemin, ils seraient restés devant le magasin en attendant "des renforts". A sa sortie, Clément est à nouveau pris à parti. L’un des skinheads le frappe avec un poing américain. En chutant, il heurte violemment un plot métallique. » Mais, la précipitation succédant à la précipitation, il a suffi d’une vidéo pour que les Tintins du journalisme à grande vitesse modifient leurs récits. (...)

Si la vidéo a parlé, manifestement elle bafouille… Pourtant, RTL affirme : « Or, ces images permettent de confirmer l’identité du meurtrier. Elles excluent l’hypothèse d’un lynchage, montrent un Clément Méric provocateur et confortent la thèse du juge sur une mort accidentelle à la suite de coups donnés. ». À supposer que Clément Méric ait été « provocateur », ce ne sont évidemment pas les images telles que RTL les décrit qui le montrent. Et si la thèse d’une mort « accidentelle » peut avoir une valeur judiciaire, elle ne peut tenir lieu de jugement politique. (...)

Il n’empêche… la prétendue information, « révélée » tôt le matin par RTL, va être reprise durant toute la journée, et parfois les jours suivants, par la grande majorité des médias, bien que certains d’entre eux la tempèrent en informant sur la version que donne Libération du contenu de cette vidéo.

Les plus paresseux, comme Europe 1 ou Capital.fr, plutôt que de « s’informer » auprès de la source secondaire que constituent les bafouillages de RTL, se bornent à reproduire une source tertiaire : une dépêche de Reuters.

Or non seulement ces reprises de seconde ou de troisième main, se font presque toujours sans aucune mise à distance critique ni contre-enquête, mais elles aboutissent même – en de nombreux cas – à proposer de très libres interprétations des visions, elles-mêmes approximatives (et controversées), de RTL. (...)

C’est seulement près de cinq heures plus tard qu’il sera fait mention dans cet article des éléments publiés par Libération, mettant en doute l’interprétation avancée par RTL. Pourtant, non seulement le titre de l’article de L’Express continue de prétendre que la vidéo permet de savoir « ce qu’il s’est vraiment passé », mais la légende de l’image qui illustre l’article affirme même : « Une preuve capitale a été découverte dans l’affaire Clément Méric : une vidéo d’une caméra de surveillance a filmé la bagarre ». (...)

Il serait fastidieux de recenser la totalité des articles mentionnant cette vidéo et faisant passer sur le mode de l’évidence non seulement son contenu mais les interprétations qui en sont proposées par le journaliste de RTL. On peut néanmoins relever quelques exemples, qui permettent d’y voir plus clair, non sur l’agression mortelle dont Clément Méric a été victime, mais sur les bidouillages médiatiques qui conduisent moins à éclairer qu’à embrouiller les circonstances de sa mort  : (...)

Plus on s’approche des médias de grande écoute que sont les chaînes de télévision, plus l’ « information » se trouve délestée de la moindre réserve que permettrait, au minimum, l’usage du conditionnel et la référence à l’article de RTL (« selon RTL »). Précision d’autant plus cruciale que personne parmi les journalistes qui évoquent la vidéo en question – pas même, semble-t-il, le journaliste de RTL – n’a pu la visionner. (...)

Répétons-le : nous ne disposons d’aucune information particulière – sourcée, recoupée et vérifiée – sur les circonstances précises de la mort de Clément Méric. En revanche, nous disposons d’informations précises, sourcées, recoupées et vérifiées qui montrent que de trop nombreux médias, qui se posent en défenseur de la démocratie, préfèrent ignorer que s’il est judiciairement utile de connaître l’enchainement des faits, il est politiquement futile de se demander « qui a commencé », quand c’est l’existence même de groupes fascistes – responsables d’agressions, homophobes et racistes, qu’ils multiplient depuis des mois – qui est une « provocation ». (...)