
En dépit des déclarations socialisantes d’un Macron plus hypocrite que jamais, le néolibéralisme, touché mais pas coulé, est déjà repassé à l’offensive. Quelles nouvelles formes prendra-t-il ? Peut-on espérer infléchir l’histoire ? Trois chercheurs critiques font leur pronostic.
La sortie du confinement poignait à peine à l’horizon que le patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux, promettait déjà de nous faire cravacher, afin de récupérer une plus-value grippée depuis de longues semaines : « Il faudra bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire. »
Depuis cette déclaration du 11 avril, le boss du Medef a choisi de temporiser au nom du « pacte républicain », mais l’agenda patronal a déjà pris ses marques. (...)
Peu importe que la crise du Covid-19 ait révélé aux yeux de tous l’inutilité sociale et la nuisance des « premiers de cordée » pour rendre enfin visible le rôle indispensable des « premiers de corvée » – soignants, agents du nettoyage, facteurs, enseignants, cheminots, routiers, caissières, livreurs, manutentionnaires, saisonniers agricoles, etc. –, en même temps qu’était exposée médiatiquement l’intolérable précarité de ces petites mains, qui constituent au passage la grande partie du salariat féminin. Si cette « révélation » a mis un coup à la théorie du ruissellement, les managers de l’exploitation, eux, voudraient vite reprendre les rênes par crainte qu’elles ne leur échappent.
Le retour de l’État et de son argent magique (...)
Mais ne nous laissons pas avoir par ces soudaines prises de conscience vertueuses à l’égard des excès de la mondialisation capitaliste : si l’interventionnisme d’État cherche à empêcher la banqueroute généralisée, garantir la solvabilité des entreprises et permettre une indemnisation aux travailleurs en chômage partiel, il n’augure en rien une meilleure organisation sociale. On sait à quel point les choix stratégiques de l’industrie française – priorité à l’armement au détriment de la santé [4] – ont amplifié la catastrophe sanitaire actuelle.
Certes, à l’heure où la récession menace des millions de personnes du chômage et de la faillite, on entend moins les idéologues du néo-libéralisme assumer leur darwinisme social en vantant ouvertement la « destruction créatrice » induite par le Covid-19, qui permettrait de rebattre les cartes, détruire les maillons faibles et créer encore plus de capital. Les zélateurs de la main invisible ne font plus secret que la seule option de sauvetage, temporairement du moins, est l’économie mixte – davantage d’intervention étatique, donc. (...)
Quels possibles malgré tout ?
Face au désastre annoncé de la pire crise économique depuis 1929 (selon le FMI), quelles perspectives s’offrent à nous ? L’historien Jérôme Baschet préconise de redoubler nos pratiques « d’entraide et d’auto-organisation » et aussi de nous poser concrètement la question de l’autoproduction, notamment alimentaire. Alors, le tissu renforcé de l’autonomie en actes « devrait conduire assez logiquement à amplifier le désir de faire émerger des formes d’autogouvernement communal ». Ainsi, comme avant le virus, se pose l’urgence du choix entre deux modèles de société : « Les possibles d’avant deviennent un peu plus possibles qu’avant. Bien sûr, cela vaut tout autant pour le renforcement des formes de domination – qui pourraient bien ajouter à leur panoplie déjà fournie l’état d’exception sanitaire permanent – que pour toutes celles et ceux qui sont prêts à œuvrer sérieusement pour retrouver des mondes vivables, débarrassés de la tyrannie de l’Économie. [8] »