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« A terme, rien n’empêcherait d’utiliser l’arsenal anti-terroriste contre les mouvements sociaux »
Article mis en ligne le 26 février 2015
dernière modification le 22 février 2015

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Libertés
« A terme, rien n’empêcherait d’utiliser l’arsenal anti-terroriste contre les mouvements sociaux »

Entretien avec Laurence Blisson

samedi 21 février 2015

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Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, explique la dérive possible des lois antiterroristes vers la répression des luttes écologiques et sociales. Nous publions cet entretien alors qu’une semaine des résistances aux violences policières se conclut dimanche 22 février.

(...) Reporterre - Pourquoi la justice française n’a-t-elle pas utilisé l’attirail antiterroriste contre les militants de luttes environnementales, alors que les poursuites ont été ouvertes dans ce cadre en Italie contre les militants du mouvement No-Tav opposés au projet Lyon-Turin ?

Laurence Blisson - Il y a deux raisons. D’abord l’échec retentissant des procédures du dossier Tarnac qui a suscité beaucoup de contestation, et qui au final s’est retourné contre Michèle Alliot Marie (alors ministre de l’intérieur). La deuxième raison est que l’arsenal répressif permet déjà beaucoup de choses aux enquêteurs et aux juges. L’ajout des dispositions des lois antiterroristes est marginal quand on peut, avec la qualification de « bande organisée », utiliser des pouvoirs de police spéciaux, des allongements de la durée de la garde à vue. Cela ne rend pas nécessaire d’en passer par la catégorie du terrorisme. Le choix a été fait de recourir à des formes de répression rapide, comme la comparution immédiate…

Dans le cas de qualification de terrorisme, il y a un rôle très important des services d’enquête, au départ, qui peuvent réussir à convaincre le parquet d’ouvrir les poursuites à ce titre. A Sivens ou à Notre-Dame-des-Landes, c’est plutôt la police judiciaire qui est à l’œuvre que le renseignement [à la différence du cas de Tarnac] (...)

Didier Fassin l’explique dans son dernier livre, L’Ombre du monde. Une anthropologie de la condition carcérale : les magistrats ont une relation à la notion insaisissable d’« opinion publique », si tant est qu’elle existe, qui fait qu’ils intériorisent une « attente sociale » des formes de répression.

Cela peut amener un magistrat à choisir des qualifications plus lourdes (et en allant au bout de la logique, jusqu’au terrorisme, même si ce n’est pas arrivé dans le cas des luttes sociales et environnementales). L’ordre public peut devenir un objectif des magistrats sans qu’il y ait besoin d’un injonction hiérarchique ou de pressions. Cela relève de l’intériorisation, dans un corps qui est globalement conservateur. Sur le plan juridique, ça n’aboutira pas forcément, mais sur le plan du renseignement, cela permet de faire ce qu’on veut. (...)

Dans le cas de la ferme-usine des Mille vaches, des militants de la Confédération paysanne ont été condamnés [en plus de peines de 2 à 5 mois de prison avec sursis et des amendes de 300 euros chacun] à des interdictions de paraître dans le département de la Somme, alors que les faits reprochés étaient des dégradations [un tag, des engins de chantier et une salle de traite démontés], la détention de boulons dans leurs poches, et le refus de prélèvement ADN. Des condamnations très inhabituelles. Les magistrats ont aussi mis en difficulté les luttes, les militants de la Confédération paysanne étant interdits de contacts entre eux alors que qu’ils sont des responsables nationaux de ce syndicat. (...)

les contact sont fréquents entre le parquet et la police au titre du traitement en temps réel des affaires. Je ne dis pas qu’il y a collusion, mais que cette forme de contact permanent favorise une culture proche. Il y a aussi une image commune qui dit que les policiers sont déçus par l’issue de leur procédure, trouvant que que les peines prononcées ne sont pas assez lourdes dans des affaires qu’ils ont conduites. Le magistrat pourrait répondre en réaffirmant son indépendance, et que ce n’est pas au policier de déterminer quelles peines sont prononcées. Mais pour envisager de mettre en cause un policier, il va en falloir vraiment beaucoup de sa part. (...)

On mélange ce que permet le droit et des pratiques policières de circonstance. Mais ce n’est pas spécifique aux luttes environnementales. Ce qui leur est spécifique, c’est qu’elles s’inscrivent dans la durée et dans un lieu spécifique. L’action de certains magistrats s’oritente donc vers la déstabilisation de ces formes de luttes, pour tenter de les déraciner.