C’est un lent grignotage. Dans les bureaux de poste, les gares, les aéroports, sur les plans d’aménagement urbain, au centre-ville comme à la périphérie, une même contrainte enserre insensiblement les usagers des espaces publics : le passage imposé au travers d’espaces marchands. Pour les promoteurs de cette métamorphose, la consommation, contrôlée et sécurisée, doit remplacer toute déambulation rêveuse.
(...)le terminal se transforme en un espace à la fois hypercommercial et hypersécurisé, dont les voyageurs deviennent captifs. Les gestionnaires des lieux imaginent une autre organisation des flux ; ils créent un système de circulation forcée qui convertit les aéroports en laboratoires. On y teste de subtils aménagements spatiaux pour déterminer quelle stratégie permet de rentabiliser au mieux le passager. Comme un pantin, ce dernier est manipulé, acheminé à travers un lieu préparé à son intention : une caverne d’Ali Baba où scintillent marchandises et tentations.
Dans cet espace « du dedans », tout est restreint, de la liberté de se regrouper à celle de photographier ou de filmer. On ne peut ni se plaindre ni choisir ses itinéraires. C’est une économie capitaliste (faire le plus d’argent possible) et monopolistique : seules quelques sociétés multinationales gèrent les centaines de magasins, de restaurants, de bars, ou les services aériens au sol, confiés à des sous-traitants. Le droit à l’information est souvent bafoué : les affiches déclinant les « droits du passager » sont placées là où on les voit le moins, dans les endroits sombres, dans les angles morts, derrières des colonnes, ou disposées en sens inverse du flux général. Les publicités autour de thèmes tels que le rêve, le voyage, la femme parfaite, l’homme parfait, les visages parfaits, la sensualité, le sexe… camouflent une stratégie de captation et de détournement des lieux publics.
Première étape : fragiliser le passager en brouillant ses repères. Les agents de sécurité et les employés des boutiques hors taxes sont habillés presque de la même manière. Les vendeurs sont priés d’assurer aussi le maintien de l’ordre dans les magasins et à leurs abords, et les agents de sécurité jouent le rôle de rabatteurs pour les échoppes (...)