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Mediapart
Affaire Hedi : « Il ne sert à rien de mettre les magistrats sous pression. Et c’est tant mieux. »
#violencespolicieres #emeutes #justice #Hedi
Article mis en ligne le 5 août 2023
dernière modification le 4 août 2023

(...) Suite à la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Province de maintenir en détention un des policiers impliqué dans l’agression dont a été victime le jeune Hedi, Christophe Korell, major de police en détachement au ministère de la justice loue « un fonctionnement sain de l’institution ». Président de l’association Agora des citoyens, de la police et de la justice, il estime l’affaire « indéfendable ».

Comment interprétez-vous la décision de la chambre de l’instruction de maintenir en détention l’un des policiers mis en examen dans l’affaire Hedi ?

Ce n’est pas une surprise. À l’audience, le policier a fait des déclarations nouvelles. Les juges d’instruction auront des questions à lui poser à ce sujet. À l’issue de cet interrogatoire prévu fin août, il est probable qu’une nouvelle demande de mise en liberté sera faite et donc examinée, à ce moment-là. Au-delà, cette décision apporte la preuve (sans que cela ne soit voulu par les juges, qui fondent leur décision sur la procédure et non sur la communication) qu’il ne sert à rien de mettre les magistrats sous pression. Et c’est tant mieux. C’est un fonctionnement sain de l’institution. (...)

Rétrospectivement, comment expliquez que Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale (DGPN), ait pu s’avancer autant, le 23 juillet, en déclarant qu’« avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison » ? On peut imaginer qu’il avait pourtant des remontées signalant la gravité de l’affaire.

Christophe Korell : Son objectif premier était, je crois, d’éteindre l’incendie. Il voyait, notamment sur Marseille, qu’il y avait énormément d’arrêts maladie, que dans certains commissariats, il n’y avait plus de Bacs pour tourner dans les villes. Sa préoccupation était de faire tourner le service public dont il a la charge.

Aussi, en ayant toute conscience que ce qu’il dirait serait mal vu en raison de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice, il a dû penser que dans sa bouche aucune autre parole ne serait audible, pour les policiers, que « Je suis avec vous ». Il l’a dit tout en sachant très bien que quiconque promet, propose, envisage une modification de l’article 144 du code de procédure pénal, se fourvoie. Le Conseil constitutionnel ne laisserait jamais passer un pareil texte de loi. (...)

Nanterre, c’est une action de police. Le policier qui fait feu prend une décision en une fraction de seconde. L’enquête dira s’il était effectivement en danger ou pas, et si le collègue a fait une faute ou pas. Mais, en tout cas, c’est une intervention de police.

À Marseille, la justice dira si l’intervention primaire, le tir de LBD, était justifié ou non par ce qui se passait sur la place. Mais, en tout état de cause, tabasser Hedi dans une ruelle, cela n’a plus rien à voir avec une action de police. Même s’il était un émeutier, ce qui n’est pas avéré en l’état, rien ne permet de frapper ce jeune homme dans une ruelle. Rien ne justifie de ne pas appeler les secours après. Si j’ai bien compris les médias, ces policiers ont fini leur patrouille, sont rentrés de vacation en disant qu’il ne s’était rien passé. (...)

Pourtant des policiers continuent, encore ce jeudi soir, à soutenir les mis en examen.

Avec les émeutes qu’il a fallu gérer, les policiers sont tellement le nez dans le guidon. Ils n’ont plus de recul. C’est humain même si ce n’est pas audible. Des collègues me racontent qu’ils ont eu peur dans les émeutes. Mais vraiment très peur. Et là, avec la détention provisoire du policier de Marseille, ils se disent : « Je fais mon boulot, je fais ce qu’on me demande et, au final, je vais aller au placard. »

En conséquence, ils commencent à hésiter à s’engager sur des opérations de maintien de l’ordre. C’est pour cela que je comprends certaines de leur revendications. (...)

Les syndicats de policiers ont demandé l’élargissement de la protection fonctionnelle (le financement par l’État des frais de justice des fonctionnaires), le maintien des primes quand un agent est suspendu, mais aussi l’exemption de la détention provisoire pour les policiers soupçonnés de violences en service. Même inconstitutionnelle, c’est la première fois que cette exemption est demandée. Comment expliquer qu’elle émerge ?

Il ne faut pas oublier qu’il y a eu deux affaires très rapprochées dans le temps, Nanterre et Marseille, avec deux policiers qui partent en détention. Les collègues en viennent à penser qu’il y a un changement de doctrine et que cela va devenir la règle de les envoyer en détention provisoire. Alors que, factuellement, ce n’est pas le cas. (...)

Plus généralement, au-delà de cette affaire, il y a un déficit, chez les policiers (et je m’inclus dedans) de connaissance de la justice. Lorsque nous parlons de délinquance en général, la justice est « laxiste », mais quand il est question des policiers, elle est forcément dans notre bouche plus lourde… (...)

Dans l’affaire dont a été victime Hedi, vous vous interrogez sur la responsabilité de la hiérarchie policière ?

Oui, j’ai lu dans les comptes-rendus d’audience devant la chambre de l’instruction [ce jeudi matin] que le policier qui a reconnu être l’auteur d’un tir de LBD a détaillé les ordres que venait de donner sa hiérarchie au moment des faits [« La consigne était de ne plus interpeller, c’était de rétablir l’ordre dans la rue d’Italie prise d’assaut par des individus hostiles qui pillaient », a-t-il déclaré à l’audience de jeudi]. J’espère que la hiérarchie sera sommée de s’expliquer sur les instructions données cette nuit-là. Comment cela peut-il se terminer quand des chefs disent à des policiers : n’interpellez plus mais nettoyez moi les rues ?