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Affaire Mélenchon : misères du journalisme « d’investigation »
Article mis en ligne le 3 décembre 2018

Mardi 16 octobre 2018, une série de perquisitions visait la France insoumise et les domiciles d’un certain nombre de ses responsables. Cet épisode a été le point de départ d’un véritable déchaînement médiatique. Sur les chaînes d’information en continu, les images de ces perquisitions – et en particulier de la réaction de Jean-Luc Mélenchon – ont été largement diffusées. Les habituels habitués des plateaux se sont relayés pour saturer l’espace médiatique de commentaires réprobateurs à l’égard du responsable de la France insoumise [1]. Les enjeux de fond autour de ces perquisitions ont, quant à eux, été largement évacués. (...)

Vendredi 19 octobre 2018 au matin, la cellule investigation de Radio France publiait son enquête sur les comptes de campagne du candidat Mélenchon. Plus tard dans la journée, un article de Mediapart faisait état des premières découvertes policières issues des perquisitions visant la France insoumise. Ces deux séries de révélations vont apporter de l’eau au moulin médiatique des commentateurs et éditorialistes, occupés depuis plusieurs jours à dénoncer la réaction de Jean-Luc Mélenchon face aux perquisitions, et être largement reprises dans les médias. (...)

Les critiques que nous formulons ici n’ont, par ailleurs, pas valeur d’adhésion aux contre-feux allumés par certains responsables de la France Insoumise. Nous avions déjà écrit à ce propos que les déclarations à l’encontre des médias et prises à partie des journalistes ne sauraient se confondre avec la critique des médias telle que nous la pratiquons.

Mais force est de constater que, du point de vue journalistique et surtout, du point de vue de « l’investigation » dont elle se revendique, l’enquête de la cellule de Radio France n’est pas convaincante. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces « révélations » annoncées avec fracas sur les « tarifs étonnamment élevés » de Mediascop se contente d’insinuations vis-à-vis de pratiques « inhabituelles » et de factures « complexes », ou encore de sous-entendus sur la possibilité d’un enrichissement personnel, mais sans jamais vraiment apporter d’éléments probants. (...)

Autre aspect au moins autant problématique : en divulguant et commentant longuement les informations livrées par les policiers eux-mêmes, à peine trois jours après les perquisitions, les journalistes ne contribuent-ils pas à apporter leur caution à une procédure qui pose par ailleurs de nombreuses questions, et qui comme le soulignait pourtant un autre article de Mediapart, est dirigée par un procureur dépendant du gouvernement ? Un minimum de recul critique vis-à-vis de cette procédure aurait au moins été d’usage. Difficile pour Mediapart cependant de critiquer le cadre problématique d’une procédure tout en bénéficiant d’informations privilégiées de la part de ses initiateurs.

Cette contradiction fait écho aux propos du sociologue Dominique Marchetti, qui souligne le caractère problématique de la relation de dépendance réciproque qui peut s’établir entre les journalistes et institutions politiques, judiciaires et policières dans un article consacré au journalisme d’investigation. La focalisation de l’attention médiatique sur les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon illustre bien les effets pervers de ces interrelations. Comme le rappelle Arrêt sur images, les scoops sur les comptes de la campagne Mélenchon avaient précédé ceux sur la campagne Macron parce que la commission des comptes de campagne les avait publiés en premier. « Et si elle les avait publiés en premier, c’est que...c’étaient les plus demandés par la presse. » (...)

Comme l’enquête de Radio France, les révélations de Mediapart posent problème sur le fond (relativement inconsistant), sur la forme et la temporalité. Elles illustrent certaines pratiques contestables du journalisme d’investigation, qui doivent faire l’objet d’une critique exigeante. Celle-ci ne saurait cependant se confondre avec une condamnation en bloc du journalisme d’investigation. La rédaction de Mediapart, comme la cellule d’investigation de Radio France (y compris les auteurs des enquêtes que nous critiquons ici) ont également produit des enquêtes sérieuses et qui ont contribué à éclairer le débat public. Dans les deux cas évoqués dans cet article, le sérieux de l’enquête semble cependant avoir laissé la place à l’opportunisme et à la facilité d’un journalisme de révélation. (...)

Dans un précédent Jeudi d’Acrimed avec Fabrice Arfi, nous évoquions déjà la différence essentielle entre un tel journalisme de révélation, qui se borne à divulguer des informations « exclusives », de les commenter et d’en assurer le service après-vente ; et un véritable travail d’enquête qui devrait constituer le cœur du journalisme – et pas seulement du journalisme d’investigation.