
Depuis une semaine, l’extrême droite propage une interprétation complotiste de la vidéo de Loopsider montrant Michel Zecler agressé par trois policiers. Promue par l’avocat Gilles-William Goldnadel, cette théorie ne repose que sur des mensonges et de la diffamation.
L’extrême droite ou certains syndicats de police nous avaient habitués à contester toute accusation de violences policières. La criminalisation des victimes n’est pas nouvelle et la mauvaise foi de certains éditorialistes non plus. Mais dans l’affaire Michel Zecler, du nom de ce producteur de musique roué de coups par trois policiers le 23 novembre, un cap semble être franchi.
Le 25 février dernier, le syndicat proche de l’extrême droite France-Police, dont le président est un ancien conseiller de Marine Le Pen, a diffusé sur sa chaîne YouTube « Touche pas à mon flic » une vidéo supposée démonter ces révélations. Intitulée « Affaire Zecler : la manipulation du site Loopsider démasquée par un policier », elle a été vue plus de 200 000 fois et a surtout été massivement relayée par les principaux sites d’extrême droite, Valeurs actuelles en tête. En réalité, le syndicat n’a fait que reprendre une vidéo similaire déjà postée le 7 décembre dernier, dont l’audience était restée confidentielle. (...)
Bruno Attal, « 23 ans de voie publique » et tout juste syndiqué, reprend le sujet de Loopsider (site dans lequel travaillait l’auteur de l’article avant de rejoindre Mediapart) qu’il juge « manipulé » et prétend « travailler dans un seul but : la vérité, rien de plus que la recherche de la vérité sans concession ». Il affirme pêle-mêle que la vidéo révélant l’agression du producteur de musique a été « montée, accélérée, orientée et mise en scène ». Par un montage habile et une collection de mensonges, il prétend livrer une démonstration implacable et révéler des images que nous aurions cachées. Revenons donc point par point sur ces diffamations, reprises notamment sur RMC et CNews par Gilles-William Goldnadel.
Non, les images de violences n’ont pas été accélérées par Loopsider
C’est un des éléments principaux de ce syndicaliste. Pour manipuler l’opinion publique, Loopsider aurait accéléré toutes les images « pour donner une impression de violence à la scène ». Un mensonge repris sur CNews par l’animateur Jean-Marc Morandini : « Ce qu’on découvre dans cette vidéo aussi, c’est que les images des coups sont accélérées. Ça, moi, je ne m’en étais pas aperçu quand j’avais regardé la vidéo. » Et pour cause, c’est totalement faux.
Le 26 novembre dernier, Loopsider révèle l’agression de Michel Zecler en publiant un sujet de 9 minutes et 11 secondes. Ce document est une présentation de l’affaire, avec notamment des images de la fameuse vidéosurveillance, le témoignage de Michel Zecler, des vidéos de violences captées par le voisinage et le témoignage de jeunes présents dans le studio. Dans ce sujet, aucune image n’est accélérée.
Par souci de transparence, justement, nous avons publié deux heures après une nouvelle vidéo montrant l’intégralité des images de la vidéosurveillance. Ce document, qui dure 8 minutes et 47 secondes, condense les 13 minutes de vidéosurveillance : si des images ont effectivement été accélérées, cela ne concerne que les moments « creux » et le début de la séquence. Aucune image montrant les policiers frapper Michel Zecler n’a été accélérée. C’est par ailleurs facilement vérifiable puisque cela est systématiquement indiqué.
Il y a bien plus que « 11 secondes de violences » et sept coups
Le syndicaliste poursuit sa démonstration en affirmant que Michel Zecler aurait refusé de se faire contrôler à l’extérieur du studio et aurait entraîné les policiers à l’intérieur. Une argumentation démentie par les images qui permet, au passage, de faire l’impasse sur le fait que les agents sont entrés de manière totalement illégale dans un lieu privé.
Pire : contrairement aux affirmations de Loopsider, c’est le producteur lui-même qui aurait fermé la porte pour bloquer les forces de l’ordre dans « une nasse », le sas d’entrée. Encore une fois, tout est mensonger. Il suffit d’examiner les images pour s’apercevoir que Michel Zecler a sa main maintenue par un agent lorsque l’autre policier referme lui-même la porte.
D’après Bruno Attal, nous aurions aussi inventé 20 minutes de violences. « Voilà les images qui vont être reprises en boucle : quatre coups avec la main droite du premier policier, trois coups de poing de l’autre policier. C’était la partie la plus violente, qui aura duré onze secondes. Celle qui a tourné en boucle sur tous les médias, qui a été montée et accélérée. »
Sur la vidéo intégrale que nous diffusons ci-dessous, que la justice détient, tout comme de nombreuses autres rédactions, il est encore facilement vérifiable que plus de 45 coups sont infligés à Michel Zecler. (...)
Michel Zecler n’a pas retiré de drogue de sa chaussure pour la dissimuler
C’est le gros scoop que croit tenir le syndicaliste de France-Police. Bruno Attal accuse en effet Michel Zecler d’avoir dissimulé ce qu’il pense être de la drogue. Selon son « hypothèse », le producteur aurait profité de la fuite des policiers pour « retirer quelque chose de sa chaussure ou de sa chaussette qui serait peut-être tombé à terre ».
Et de poursuivre : « Bizarrement, le jeune avec la capuche rouge s’assoit une demi-seconde et se relève aussitôt. Zecler est toujours dos tourné à cette caméra et cache ce que fait le jeune qui se relève aussitôt. On voit le jeune avec la capuche regarder la caméra. Le jeune à gauche ouvre sa main droite comme s’il attendait qu’on lui donne quelque chose. Zecler devait détenir quelque chose d’illicite autre que le cannabis retrouvé sur lui, et c’est pour ça qu’il a tout fait pour ne pas se faire interpeller. » (...)
La théorie est séduisante, mais là encore, rien ne vient la confirmer. Sur les images, on voit Michel Zecler se toucher la tête et recueillir le sang qui coule de son crâne avec sa main. On voit effectivement le jeune en capuche regarder en haut, mais davantage le crâne ouvert du producteur. Surtout, on aperçoit très nettement Michel Zecler, qui a perdu sa chaussure, remettre tout simplement sa chaussette. On ne distingue aucune drogue ni échange avec les jeunes. (...)
D’autant que ces derniers ont tous été interpellés et fouillés, et que rien n’a été retrouvé sur eux. Le studio a également été perquisitionné et seulement un demi-gramme de cannabis a été retrouvé à cette occasion dans une sacoche. Si Loopsider n’avait pas précisé ce détail ni le fait que les policiers disaient avoir suspecté « une odeur de cannabis », c’est que ni le parquet ni la préfecture, pourtant interrogés à l’époque, n’avaient souhaité l’indiquer.
Aucun des jeunes n’a tenté de voler l’arme des policiers
C’est l’autre accusation mensongère livrée par Bruno Attal. (...)
Aussi, le syndicaliste accuse Michel Zecler d’avoir voulu dérober la matraque d’un policier. Or, si le producteur bloque effectivement cette matraque pendant quelques secondes, il ne s’en empare pas. Rencontré à l’époque, il avait précisé l’avoir fait pour faire cesser les coups qu’il recevait notamment au visage et à la tête.
Les policiers n’ont pas été incarcérés sur la base des images de Loopsider
Toutes les accusations de ce syndicaliste sont fausses, donc, et ne résistent pas à l’épreuve des faits. Pourtant, cela n’a pas empêché Me Gilles-William Goldnadel, avocat de Génération identitaire, d’annoncer déposer plainte pour « altération de la vérité d’un document privé ». Il fait depuis le tour des plateaux télé pour asséner encore et encore des mensonges.
« Pendant un quart d’heure, non pas pas uniquement pour un port de masque mais parce qu’il y avait une forte odeur de cannabis, les flics sont dans la nasse et pendant un quart d’heure, Michel Zecler, qui a une force remarquable, il résiste. Il se rebelle pendant un quart d’heure », affirme-t-il sur RMC. « Pendant plus de dix minutes, Zecler se conduit avec la force d’un lion », ose même l’avocat du syndicat.
Or, on observe à nouveau très distinctement que si Michel Zecler se protège parfois, il ne lève jamais la main sur les policiers, comme l’a constaté le parquet, qui a classé sans suite les poursuites dont le producteur faisait l’objet pour « rébellion ». (...)
Le parquet était en possession de la vidéosurveillance avant même la publication de mon sujet. Et les juges avaient vu l’entièreté des images de vidéosurveillance avant de décider de placer le policiers en détention provisoire. Ils avaient d’ailleurs motivé leur décision en raison des « troubles exceptionnels à l’ordre public » provoqués par l’infraction et pour éviter « un risque de concertation entre les auteurs ou de pression sur les témoins ».
Les policiers en causes reconnaissent eux-mêmes des violences (...)
Confronté à ses actions, que l’officier de police judiciaire (OPJ) a qualifiées de « geste de voyou », Pierre P., le deuxième policier, a répondu : « Ce geste, clairement, je le regrette, je n’aurais pas dû le donner. »
Lors de cette même audition, l’OPJ faisait remarquer à l’agent, qui disait être bloqué dans le sas par Michel Zecler, que son collègue, qui avait réussi à ouvrir la porte, n’en a pourtant pas profité pour partir. Philippe T., enfin, a confirmé lors de son audition que les coups donnés par son collègues étaient des « coups gratuits qui n’auraient pas dû être donnés ». « C’est beaucoup de force déployée et de mise en danger inutile », a renchérit Hugo R., un agent venu en renfort.
Cette séquence permet en tout cas de comprendre la mécanique de fabrication d’une fake news, quitte à travestir totalement la réalité des faits. Elle montre aussi l’absence de remise en cause et la radicalité dont certains syndicats de police ou collectifs sont capables. (...)
Cette séquence interroge enfin le rôle de certains médias dit « généralistes », qui n’hésitent pas à relayer n’importe quelle théorie et à favoriser ainsi sa propagation. « C’est un autre regard, c’est pour ça que j’ai voulu vous donner la parole », a lancé fièrement Jean-Marc Morandini lorsqu’il a invité Gilles-William Goldnadel sur CNews. « On devait avoir la version de ce policier ce soir, c’est tout à fait normal, on ne pouvait pas fermer les yeux sur ce qu’il pense de cette affaire », s’est défendu Cyril Hanouna après avoir invité Bruno Attal dans « Touche pas à mon poste ». Qu’importe si l’argumentation est fausse, pourvu que l’audience soit bonne.