
Le tribunal de commerce de Nanterre doit se prononcer, mardi 27 septembre, sur une demande en référé déposée par le groupe Altice visant à obtenir la suppression, au nom du secret des affaires, de plusieurs articles publiés par le site Reflets exploitant des documents internes piratés par un groupe de hackers.
Au total, environ 500 000 documents administratifs et financiers ont été mis en ligne le 25 août sur un « hidden service », un site internet non référencé et uniquement accessible via le logiciel Tor et un navigateur spécifique.
Ils ont été piratés le 9 août par un groupe de hackers baptisé « Hive » lors d’une attaque par ransomware, ou rançongiciel. Les pirates avaient alors réussi à s’introduire dans les serveurs du groupe Altice, à copier les données et à y déposer leur ransomware ayant chiffré l’intégralité des données.
Les hackers de Hive avaient également laissé un message réclamant le versement d’une rançon, fixée par la suite à 5 550 000 euros, en échange d’un logiciel permettant de déchiffrer les données. « Votre réseau a été piraté et toutes les données ont été cryptées, écrivaient les pirates. Les données personnelles, les rapports financiers et les documents importants sont prêts à être divulgués. » Pour récupérer ces données, Altice était invité à contacter le « service commercial » de Hive pour acheter leur « logiciel de décryptage ».
Le groupe ayant refusé la rançon, une partie des documents piratés, environ 25 %, a donc été mise en ligne le 25 août. Comme le rapporte Libération, cette publication avait été rapidement repérée par plusieurs spécialistes, dont les journalistes de Reflets, qui ont commencé à travailler sur certains documents. (...)
Dans son référé, le groupe Altice demande au tribunal de commerce d’ordonner à Reflets la suppression de trois articles, dont celui publié le 5 septembre, sous astreinte de 500 euros par jour. Il demande également la destruction des données que les journalistes auraient pu récupérer. Enfin, il demande à ce qu’il leur soit interdit de publier « tous contenus se rapportant aux données piratées », en clair que Reflets n’ait plus le droit d’écrire sur ce sujet.
Cette procédure est pour le moins inhabituelle. Les délits de presse relèvent en effet normalement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui prévoit une procédure spécifique devant des magistrats spécialisés du tribunal correctionnel, et offrant certaines garanties aux journalistes. (...)
« Cette procédure est très inquiétante, réagit auprès de Mediapart Virginie Marquet, avocate et membre du collectif « Informer n’est pas un délit » qui s’était mobilisé contre la loi sur le secret des affaires. C’est la réalisation de ce que l’on craignait au moment de l’adoption de la loi en 2018. Elle est détournée afin de censurer la presse. Le pire est en train d’arriver. Le but est de dissuader les médias de publier certaines informations. »
« Le tribunal de commerce est une juridiction qui n’est pas spécialisée en droit de la presse, avec des magistrats qui sont des professionnels issus du monde de l’entreprise, poursuit Virginie Marquet. Il n’a pas les compétences pour apprécier un intérêt légitime à publier une information, son intérêt public ou encore une atteinte à la vie privée. »
« Est-ce que les articles de Reflets ont pu provoquer un trouble illicite alors que les documents étaient déjà publiés, explique encore l’avocate. Ça me paraît totalement contestable. Était-ce légitime de divulguer ces informations ? Là, ça ne devrait pas être au tribunal de commerce de le dire. Le juge devrait se déclarer incompétent et renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel s’il y a un délit de presse ou le tribunal de grande instance s’il y a une atteinte à la vie privée. »
Ce référé risque en tout cas de constituer une première. (...)