
Amérique latine, vers une nouvelle situation politique
L’avenir du cycle progressiste passe par le Venezuela
24 janvier par Claudio Katz
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Une nouvelle situation politique se fait jour en Amérique latine. Pour mieux en comprendre les contours, nous avons interviewé Claudio Katz économiste, chercheur du CONICET, universitaire et surtout, militant de gauche.
...Des soulèvements victorieux ont permis la mise en place de plusieurs gouvernements antilibéraux, mais la situation qui en a résulté ne pouvait pas durer car ils sont entrés en contradiction avec le modèle extractiviste et le renforcement de la dépendance économique, traditionnelle en Amérique latine. C’est cette contradiction qui a commencé à faire surface dans les mois précédents. C’est pourquoi on assiste a un restauration conservatrice et le débat a commencé sur la fin du cycle progressiste.
(...) Le cycle caractérisé comme progressif des dix dernières années en Amérique du Sud a été porté par des révoltes populaires partiellement victorieuses (en Argentine, Bolivie, Venezuela, Équateur), qui ont modifié le rapport de forces dans la région. Cela a permis de répondre à une situation économique caractérisée par la hausse des prix des matières premières et l’arrivée massive de dollars de façon totalement différente de celle qui a prévalu à d’autres périodes. A ce moment-là, le modèle néolibéral a pu coexister avec des mécanismes néo-développementistes et de redistribution. Sur le plan politique, des gouvernements de centre-gauche et radicaux sont apparus à côté de gouvernements de droite. Pendant cette période, la marge de manœuvre de l’impérialisme a été sérieusement réduite, l’OEA a perdu de son poids et Cuba a été reconnu. Finalement, David a vaincu Goliath et les États-Unis ont dû accepter cette défaite. En outre, pendant ces dx ans, il n’y a eu de plans d’austérité, comme celui qu’a connu la Grèce, dans pratiquement aucun pays d’Amérique latine. Parallèlement, il y a eu d’importantes victoires démocratiques. Comparer la situation en Amérique du Sud et en Amérique Centrale permet d’en prendre la mesure. Comparer le niveau actuel des violences au Mexique, Honduras, Guatemala avec les libertés publiques qui ont été conquises en Argentine, Bolivie ou au Brésil donne la mesure de ce changement. Et ce qui est apparu avec le Chavisme, c’est le retour du projet socialiste. C’est pourquoi l’Amérique du Sud est devenue la référence pour les mouvements sociaux à travers le monde.
Dans un article récent je signalais l’existence d’une ’dualité en Amérique latine’ parce que ce changement de cycle politique et de rapport de forces a coexisté avec un renforcement du modèle d’accumulation extractiviste, fondé sur l’exportation de matières premières et l’insertion de l’Amérique latine dans la division internationale du travail en tant que fournisseur des produits de base. Cette situation est naturelle pour un gouvernement néolibéral, elle fait partie de sa stratégie. Mais pour les gouvernements progressistes, de centre-gauche, cette structure entraîne une tension. Et pour les gouvernements radicaux redistributeurs, cela engendre un conflit majeur.
Cela étant, il y a eu des soulèvements victorieux qui ont porté au pouvoir des gouvernements différents, certains antilibéraux , mais cette situation ne pouvait se prolonger car ils ne pouvaient pas coexister avec le modèle extractive et le renforcement de la dépendance économique traditionnelle de l’Amérique latine. C’est cette contradiction qui a commencé à faire surface dans les derniers mois. (...)
Au Venezuela, la droite n’a pas conquis le gouvernement mais le parlement, dans une situation de guerre économique brutale, de terrorisme médiatique, de chaos économique organisé par les réactionnaires. Et le Venezuela constitue le symbole le plus abouti des processus radicaux dans le cadre du cycle progressiste.
Quelle est la situation, dans ce nouveau panorama continental, des pays qui ne sont pas entrés dans la dualité et ont conservé le modèle économique néolibéral et ses politiques ?
L’un des principaux pièges médiatique de cette période est la dissimulation de ce qui se passe dans les pays gouvernés par le néolibéralisme. On croirait que tout y est merveilleux et que les seuls problèmes de Amérique latine sont dans les autres pays. Mais en réalité, il y a une déformation médiatique monumentale. (...)
Il est évident que l’impérialisme a concentré toutes ses flèches sur le Venezuela. C’est pour cela que les États-Unis reconnaissent Cuba, font des clins d’œil à de nombreux gouvernements, mais pas au Venezuela. Ils imposent la baisse des prix du pétrole, alimentent les organisations paramilitaires, financent des ONG conspiratives, agissent sur le plan militaire. Ils pilotent des scénarios de destitution préparés de longue date. C’est pourquoi les élections se sont déroulés dans ce contexte de guerre économique et ont finalement permis la victoire de la droite. Pour la première fois, ils ont eu la majorité au Parlement et ils cherchent à convoquer un referendum révocatoire. (...)
comme le disent beaucoup de gens, cette fois-ci est celle de la dernière chance. Maintenant ou jamais. Et cette dernière possibilité suppose que des décisions soient prises dans domaines bien précis. Dans le domaine économique : nationaliser les banques et le commerce extérieur et à partir de ces deux instruments définir un autre usage des dollars. Il y a d’excellents économistes qui disent cela depuis dix ans. Ils ont créé des programmes pour expliquer en détail comment il faut faire. Par conséquent ce ne sont pas des mesures inconnues. L’autre pilier est politique. Pour soutenir la radicalisation le pouvoir communal est nécessaire. Le Venezuela a déjà une législation, une structure, des lois votées, pour adopter une forme d’organisation communale pour gérer le pays ; de bas en haut, avec différentes instances où la démocratie soit une réalité et où le pouvoir du peuple ne se limite pas à être un ensemble d’institutions défensives. C’est une architecture décisive pour lutter contre le Parlement de droite. Si Maduro et les dirigeants vénézuéliens veulent sauver le processus bolivarien, le moment est venu du pouvoir communal. Nous verrons. Je pense que les cartes sont connues et qu’il faut prendre des décisions. |5| (...)
Mais la grande question stratégique réside dans le fait que de nombreux intellectuels considèrent que la gauche doit s’atteler à la construction d’un modèle de capitalisme post-libéral. Cette idée fait obstacle aux processus de radicalisation. Être de gauche serait être post-libéral. Etre de gauche serait se battre pour un capitalisme organisé, humain et productif. Cette idée sape la gauche depuis des années, car être de gauche, c’est se battre contre le capitalisme. Pour moi, c’est le b.a.-ba. Être socialiste c’est se battre pour un monde communiste. Cette perspective varie à chaque étape et les paramètres stratégiques changent. Mais si l’on dénature l’identité de la gauche, il ne peut en résulter que de la frustration. (...)