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Angela Davis : « Nos luttes mûrissent, grandissent »
Article mis en ligne le 10 août 2016
dernière modification le 6 août 2016

Depuis l’essor du capitalisme global et des idéologies associées au néolibéralisme, il est devenu particulièrement important d’identifier les dangers de l’individualisme. Les luttes progressistes (contre le racisme, la répression, la pauvreté, etc.) sont vouées à l’échec si elles ne s’accompagnent pas du développement d’une conscience certaine de la promotion insidieuse de l’individualisme capitaliste.

Alors même que Nelson Mandela a toujours insisté sur le fait que ce qu’il avait accompli était le fruit d’un effort collectif, mené avec tous les camarades qui ont lutté à ses côtés, les médias n’ont eu de cesse de l’ériger personnellement au rang de héros. Un processus similaire a tout fait pour dissocier Martin Luther King Jr. du grand nombre de femmes et d’hommes qui constituait le cœur du mouvement pour la liberté au milieu du XXe siècle. Il est essentiel de récuser et de résister à cette description de l’Histoire comme le succès de quelques héros, afin que chacun, aujourd’hui, puisse reconnaître son potentiel et le rôle qu’il peut jouer dans les combats toujours plus nombreux qui sont menés. (...)

Même si des personnes noires ont conquis des positions hiérarchiques au niveau économique, social et politique (l’exemple le plus flagrant étant l’élection de Barack Obama en 2008), le racisme dont la grande majorité de la population noire est victime au niveau économique, carcéral et dans le système éducatif est bien plus important aujourd’hui qu’avant le mouvement des droits civiques. Les revendications du programme des Black Panther sont aussi pertinentes à l’heure actuelle, si ce n’est plus, que dans les années 1960 lorsqu’elles ont été formulées pour la première fois. (...)

Même si nous sommes critiques envers Obama, je pense qu’il est important de préciser que cela n’aurait pas été mieux avec Romney à la Maison Blanche. Ce n’est pas le bon président qui nous a fait défaut ces cinq dernières années, mais des mouvements populaires bien organisés. (...)

L’accroissement inexorable du nombre de personnes incarcérées dans le monde et le développement des moyens toujours plus profitables qui permettent de les maintenir en captivité est une des illustrations les plus dramatiques des tendances destructrices du capitalisme global. Mais les bénéfices obscènes que génère l’incarcération de masse sont des corollaires de profits engendrés par les industries de l’éducation, de la santé et d’autres services qui devraient être, en réalité, accessibles à tous gratuitement. (...)

Je suis convaincue qu’une société sans prison est réaliste et envisageable dans le futur, mais dans une société nouvelle basée sur les besoins de la population et non sur le profit. L’abolition des prisons est aujourd’hui perçue comme utopique justement parce que la prison et les idéologies qu’elle s’attache à véhiculer avec force sont totalement ancrées dans notre monde contemporain. L’utilisation de plus en plus massive de l’incarcération comme stratégie de détournement et l’accroissement du nombre de personnes emprisonnées aux États-Unis (environ 2,5 millions), empêchent de mettre en lumière et de traiter les problèmes sociaux fondamentaux (le racisme, la pauvreté, le chômage, le défaut d’éducation, etc.). La population finira par se rendre compte que la prison n’est qu’une fausse solution. Le plaidoyer pour l’abolition des prisons doit et ne peut se faire que dans un ensemble de revendications plus large incluant celles pour une éducation de qualité, la fin des discriminations à l’emploi, la gratuité des soins de santé et d’autres réformes progressistes. Cela participera à la promotion de la critique anticapitaliste et les initiatives vers le socialisme (...)

J’ai expliqué que j’avais grandi dans le sud des États-Unis, à une époque où le gouvernement permettait au Ku Klux Klan d’entreprendre des attaques terroristes contre les communautés noires. J’étais en prison en ce temps-là, injustement accusée de conspiration, kidnapping et meurtre. J’étais devenue la cible privilégiée de violences institutionnelles et on ne demandait qu’à moi si j’approuvais la violence. Très bizarre... Je voulais aussi mettre en lumière que militer pour un changement révolutionnaire n’était pas en premier lieu une question de violence mais consistait à s’attaquer à des problématiques de fond, comme l’amélioration des conditions de vie des personnes les plus pauvres et des personnes de couleur. (...)

Mettre la question de la violence au premier plan permet de masquer les véritables problématiques qui font le cœur de la lutte pour la justice. Le même processus a été utilisé pendant la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. (...)

Les vraies problématiques de la lutte palestinienne pour la liberté et l’auto-détermination sont rendues invisibles par ceux qui, usant du terrorisme, portent la résistance palestinienne au même niveau d’horreur que l’apartheid israélien. (...)