
(...) Il faudra désormais attendre 2020 pour peut-être voir naître de nouveaux sanctuaires marins autour de l’Antarctique. La réunion annuelle de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine de l’Antarctique (CCAMLR) vient de s’achever par un nouvel échec. En 2016, le plus grand sanctuaire marin du monde avait pourtant été lancé en mer de Ross, sur une superficie équivalente à la France, l’Italie, le Benelux, l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche réunis.
Cette avancée, après dix années de négociations, et des alertes climatiques mondiales comme celle du GIEC laissaient à espérer. Mais alors que l’ONU vient de s’inquiéter de l’évolution de la région, les observations des satellites y confirmant par exemple la disparition record des glaces flottantes, Pékin et Moscou continuent à freiner la préservation d’un écosystème essentiel à la planète. Antarctique rime alors avant tout avec (géo)politique. (...)
Dans son communiqué de clôture, l’organisation "consensuelle", qui regroupe 25 pays et l’Union européenne, se contente d’indiquer que "Les plans de recherche et de surveillance pour les aires marines protégées existantes, ainsi que les propositions visant à créer trois nouvelles aires marines protégées - en Antarctique oriental, dans la mer de Weddell et dans la péninsule antarctique occidentale - ont fait l’objet de nombreuses discussions." (...)
"Nous avons un besoin urgent d’un leadership mondial pour refléter l’importance de la protection de l’océan Austral entourant l’Antarctique." a réagi Claire Christian, la directrice de l’Antarctic and Southern Ocean Coalition (ASOC), coalition mondiale d’ONG. (...)
Représentant 15% de la surface océanique planétaire, l’océan Austral est un très riche écosystème. Parmi les zones les plus sauvages de la planète, le milieu marin de l’Antarctique abrite bon nombre d’animaux et une importante vie végétale. "L’Antarctique est un écosystème unique. C’est également un baromètre utile à la compréhension du réchauffement climatique", expliquait Edina Ifticene, chargée de campagne Océans au sein de Greenpeace France sur notre antenne le 25 octobre dernier. (...)
L’un des éléments les plus importants de cet océan est le krill, base de la chaîne alimentaire. (...)
Cependant, il connaît une surexploitation. Le krill est utilisé pour la fabrication d’huile et de compléments alimentaires, car très riche en oméga-3. (...)
Si une pression trop importante en matière de pêche est mise sur le krill, cela met en danger les prédateurs supérieurs ne pouvant plus se nourrir. La chaîne alimentaire est donc bouleversée. "Un krill étant aussi un puits de carbone car il se nourrit de planctons", ajoute Edina Ifticene. D’où "un impact direct sur la lutte contre le changement climatique au niveau global". (...)
L’importance et la fragilité de cet écosystème n’empêchent cependant pas la pêche. (...)
Les ressources marines de l’océan Austral sont exploitées depuis près de deux cents ans. (...)
Mais ce n’est en réalité qu’à partir de 1960 que la pêche intensive a vu le jour dans la région, et en à peine dix ans certaines espèces de poissons, comme le poisson-lanterne, était en surexploitation. Chasse et pêche ont d’ailleurs des conséquences écologiques durables.
"La plupart des poissons pêchés en Antarctique sont des prédateurs assez hauts dans la chaîne alimentaire, ils exercent une certaine pression et un contrôle sur les échelons inférieurs de la chaîne alimentaire. Si la pêcherie n’est pas assez réglementée, il va y avoir un impact important. De plus nous sommes dans un milieu extrême où tous les organismes sont très spécialisés, chacun à sa place", détaille Guillaume Massé. C’est pour pallier les dommages causés par la pêche outrancière et préserver la faune et la flore que la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marine de l’Antarctique a été mise en place. (...)
En 1982, une convention internationale entre en vigueur, réunissant pas moins de 25 pays auxquels s’ajoute l’Union européenne. C’est donc la naissance de la Commission pour la Conservation de la faune et de la flore marine en Antarctique (CCAMLR). Comme énoncé dans l’article II de la convention, l’objectif de cette commission est la "Conservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique". La CCAMLR a donc comme objectif la régulation de la pêche dans la zone Antarctique ainsi que la protection des espèces marines de la région. Cependant, outre un objectif de protection de la zone, la commission n’exclut pas l’exploitation de la zone. C’est pourquoi elle adopte un mode de gestion écosystémique, essayant de trouver un compromis viable entre exploitation et protection. (...)
Le nouvel échec de la CCAMLR ne serait pas lié qu’aux inquiétudes de la Chine et de la Russie pour la pêche dans la région. "Il y a sans doute derrière des préoccupations plus complexes : celle de la gouvernance de l’Antarctique et de l’océan austral, celle de la potentielle exploitation future des terres que la fonte des glaces rendra accessibles et bien d’autres ambitions parfois cachées", affirmait jeudi dernier Pascal Lamy dans une interview donnée à 20 minutes. L’ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce est désormais membre de la coalition « Antarctica 2020 », un groupe d’influenceurs qui poussent pour la création de ces aires marines.
Toujours sur Twitter, le spécialiste des pôles Mikaa Mered revient sur les coulisses diplomatiques des décisions russes et chinoises de ces dernières années. (...)
Outre les raisons économiques pouvant expliquer le refus de la création d’un sanctuaire marin, il s’agit également pour certains pays d’affirmer leur hégémonie sur la scène internationale. (...)
Les États n’étant pas soumis à un pouvoir coercitif, ils n’ont donc pas l’obligation d’accepter la création de sanctuaires marins en Antarctique. Les sanctuaires marins restent victimes de problématiques diplomatiques extérieures. (...)