
On s’enferme dans le discours des dominants sur la retraite parce qu’on n’ose plus penser autrement. Mais en repartant de l’idée du revenu à vie, on peut sortir de la prison idéologique.
(...) Au début des années quatre-vingt, André Gorz écrivait qu’« il est des époques où, parce que l’ordre se disloque, ne laissant subsister que ses contraintes vides de sens, le réalisme ne consiste plus à vouloir gérer ce qui existe mais à imaginer, anticiper, amorcer les transformations fondamentales dont la possibilité est inscrite dans les mutations en cours » [1].
« De toutes façons, l’évolution technologique abolit d’énormes quantité de travail et place la société devant le choix : société de chômage, très inégalitaire et toujours productiviste, ou société de temps libre où les activités auto-déterminées et non marchandes puissent l’emporter, dans la vie de chacun, sur le travail rémunéré à but économique. »
André Gorz plaidait pour un « revenu à vie ». À ne pas confondre selon lui avec sa « version conservatrice », un revenu minimum, aux appelations multiples (revenu de base, minimum de base, social garanti, de citoyenneté...) qui a pour « but essentiel non pas d’abolir l’indigence et le chômage mais de les rendre socialement tolérable au moindre coût pour la société ».
Le philosophe et journaliste défendait « sa conception de gauche » d’« une logique radicalement différente » où « la garantie d’un revenu indépendant de l’occupation d’un emploi constitue le droit qu’a chaque citoyen de recevoir, réparti sur sa vie entière, le produit de la quantité incompressible de travail socialement nécessaire qu’il a à fournir au cours de sa vie ». (...)
Trente ans après le libertaire André Gorz, ironie de l’histoire, c’est maintenant un militant du parti communiste depuis 46 ans, Bernard Friot, 67 ans, sociologue et économiste, qui, de livres en livres, conférences, débats publics, télévisions, radios... se fait le plus ardent défenseur du revenu universel par lui nommé « salaire à vie ». (...)
Trente ans après le libertaire André Gorz, ironie de l’histoire, c’est maintenant un militant du parti communiste depuis 46 ans, Bernard Friot, 67 ans, sociologue et économiste, qui, de livres en livres, conférences, débats publics, télévisions, radios... se fait le plus ardent défenseur du revenu universel par lui nommé « salaire à vie ». Il était l’invité de Daniel Mermet, dans son émission Là-bas si j’y suis , sur France inter, le 10 septembre, pour parler des retraites. (...)
La solidarité salariale, c’est les retraités qui disent [aux jeunes d’aujourd’hui] : « Ce à quoi j’ai droit, le salaire à vie, qui est la cause d’un bonheur au travail, vous y avez droit aussi, nous avons tous droit à un salaire à vie, nous avons tous droit à avoir une qualification, de 18 ans à notre mort. » (...)
Au cœur du système coopératif prôné par Bernard Friot, il y a la cotisation, « grande invention révolutionnaire de la classe ouvrière, elle ne ponctionne pas le profit ni la rémunération de la force de travail, ces deux institutions du capital. Elle les remplace pour financer une croissance non capitaliste. La cotisation, c’est la légitimation de ce que nie le capital : nous sommes les seuls producteurs de la valeur. Cela doit être reconnu par un droit à un salaire attaché à la personne et non pas à l’emploi. »
Bernard Friot décrit un monde émancipé des patrons, des actionnaires, « des parasites » souligne-t-il, où, « par généralisation de la cotisation sociale, le salaire ne sera pas versé par l’entreprise : elle cotisera à une caisse qui, par mutualisation des valeurs ajoutées, pourra garantir les salaires. De même, une cotisation économique financera l’investissement et mettra fin à la propriété lucrative en laissant la place à une propriété d’usage des lieux de production par tous les salariés ». (...)
Edgar Morin, dans un entretien avec Edwy Plenel dans Mediapart , affirme que « ce qui manque dramatiquement, c’est une pensée complexe capable de traiter les problèmes fondamentaux pour armer les citoyens. » Croissance, compétitivité, dette... « on vit dans des idées obsolètes et inadéquates dont on attend néanmoins les recettes générales. »
Si dans un continent, l’Amérique du Sud, des pays et leurs habitants tracent leur route vers le « ßuen vivir », ailleurs on cherche une issue. Des révolutions arabes aux Indignados espagnols ou Occupy aux États-Unis, et les dizaines de mouvements populaires qui essaiment la planètes ces dernières années, Edgar Morin estime que s’ils finissent par retomber, dispersés, divisés, c’est faute d’« une pensée qui dise où aller ». Et de plaider encore et toujours pour le débat, appelant de ses vœux « la reliance », c’est à dire « rassembler les initiatives créatrices, faire du lien, créer du lien, mettre en relation ». (...)