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« Attaque » à la gouache de la Samaritaine : des journalistes contre Attac
Article mis en ligne le 6 juillet 2021
dernière modification le 8 juillet 2021

Ce samedi 3 juillet, Attac menait une action pour « dénoncer l’enrichissement indécent des milliardaires pendant la crise ». Parmi eux, Bernard Arnault, ayant « vu ses avoirs personnels augmenter de 62 milliards d’euros », et son groupe LVMH, s’apprêtant à « verser 3 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires en 2021, soit une hausse de 25 % par rapport à l’année précédente ». En signe de contestation, Attac a ainsi déployé une banderole sur l’immeuble-siège de LVMH pointant « le gang des profiteurs », et aspergé de gouache noire la Samaritaine, magasin du même groupe de luxe. Que n’ont-ils pas fait ! Les politiques ont « condamné », de la maire de Paris à la présidente de la région Île-de-France. Mais les cris d’orfraie et les appels à la dissolution de l’association sont aussi venus… de journalistes.

« Un acte de vandalisme insensé », « une opération qui laisse pantois »… Au lendemain [1] de l’action d’Attac, Le Parisien dimanche (04/07) n’en revient pas. Sans dire un mot du fond de l’action militante, le journaliste Philippe Baverel vole au secours de la propriété de Bernard Arnault (aussi propriétaire… du Parisien), victime de « déprédations gratuites » et « spectaculaires ». Citation de l’ancien directeur de la rédaction du Figaro Magazine puis de Marianne Joseph Macé-Scaron à l’appui : « Dégrader un bâtiment, c’est seulement la manifestation de la connerie humaine. » « La bêtise », résumait Éric Naulleau la veille sur Twitter. « Abrutis », nuançait Lucas Jakubowicz, « rédacteur en chef adjoint de Décideurs Magazine », sur Twitter aussi. « On trouve de tout à la Samaritaine ... même la connerie. Attac, sous révolutionnaires au pot de peinture, illuminés mais jamais éclairés, ayatollah d’une pensée totalitaire qui impose le bien et le mal, pour les avoir rencontrés, des psycho rigides qui excommunient. », sur Twitter toujours, par un « journaliste freelance » indigné.

On trouvait de tout, ce 3 juillet, sur Twitter. Il y eut les faux naïfs, comme le chef du service BFM Tech Raphaël Grably : « Si je comprends bien, ils reprochent à LVMH d’avoir gagné de l’argent. » Il y eut aussi les fins limiers : « À ma connaissance, LVMH, Hermès, L’Oréal ou Kering n’ont pas eu recours aux aides de l’État (PGE, chômage partiel etc.). Au contraire, ils ont maintenu les salaires de leurs employés (> 600.000 en Fr) et ont fabriqué des masques et du gel. Et Attac faisait quoi ? » (Sébastien Couasnon, « journaliste ex-BFM Tech&Co ») [2]. Et il y eut, surtout, des appels à la répression. (...)

Et de « délinquants », on passe aux « voyous » : « Allo Anne Hidalgo, envisagez-vous de supprimer les subventions aux voyous d’ATTAC après leur nième action de dégradation sur des bâtiments parisiens ? » réclame Clément Weill-Raynal, ancien chroniqueur judiciaire et rédacteur en chef adjoint à France 3. Et de re-tweeter, bougon : « Je prends les paris que les voyous d’ATTAC ne seront pas condamnés... Il se trouvera des magistrats pour les dédouaner de leur vandalisme (ils feront peut-être valoir leur "bonne foi" ou "l’état de nécessité"... Si, si, ça c’est déjà vu) ». Et quelques heures plus tôt : « Si LVMH et Bernard Arnault envisagent de porter plainte pour cette dégradation manifestement illégale, qu’ils prennent en considération que le Syndicat de la Magistrature fait partie du "collège des fondateurs" d’ATTAC. L’affaire sera jugée en toute sérénité. » Journaliste excédé en proie au complotisme [3] ?

Mais ce n’est pas terminé. On monte même d’un cran avec Jérôme Godefroy, journaliste et ancien directeur adjoint de la rédaction de RTL : « Il faut retrouver ces délinquants et les juger, envisager la dissolution d’Attac, association de malfaiteurs ». Avant que le journaliste affine son réquisitoire : « Madame Aurélie Trouvé doit être mise en examen avec ses complices voyous d’Attac pour vandalisme en bande organisée (articles 322-1 à 322-4-1 du Code Pénal). Délit passible de 30.000€ d’amende et 2 ans d’emprisonnement. » Un avis vraisemblablement partagé par Karim Hacène, journaliste « passé par Europe 1, France Info, France 3, Public Sénat » : « Cette association (loi 1901) devrait être dissoute ». Ce que revendique également Fabrice Pelosi, chroniqueur sur BFM Business : « Une association qui agit illégalement comme Attac, on doit bien pouvoir la dissoudre. Surtout que nos impôts servent à acheter leur peinture. » (...)

Mais le concert d’indignations ne s’est pas arrêté aux portes de Twitter. « Condamnez-vous cette attaque Gabriel Attal ? » (Nicolas Demorand, France Inter, 5/07) ; « Vous souhaitez qu’il y ait des condamnations de la justice précisément pour ceux qui se sont rendus coupables de cet acte-là ? » (Yoann Usai, journaliste de CNews… sur Europe 1 à Emmanuelle Wargon, 4/07) ; « Est-ce que ça justifie d’aller taguer un magasin qui créé [de l’emploi] ? […] C’est pas du vandalisme pour vous ? […] Donc vous applaudissez ces actions-là ? » (Léa Salamé à Éric Piolle, France Inter, 6/07).

On ne s’étonnera pas, dans une telle ambiance, de l’effarement de Pascal Praud sur CNews (5/07) : « Ce qui est incroyable, c’est qu’à ce jour, aucune poursuite n’est engagée. Ni contre madame Aurélie Trouvé. Ni contre Attac. Rien n’a été fait ! » C’est peu dire que l’animateur-phare de Bolloré, devenu coutumier des appels à la censure de celles et ceux qui lui déplaisent [4], ne digère pas le morceau (...)

Pour Élisabeth Lévy, la cause est entendue : exposer « comme ça [l]a tête [de Bernard Arnault sur une banderole], c’est vraiment fasciste ça comme méthode ! » « C’est inadmissible ! » acquiesce Pascal Praud. (...)

« Peut-être qu’il faudrait dissoudre Attac ? » résume en écho Guillaume Roquette dans l’émission « Points de vue » du Figaro. Amusé, le directeur de la rédaction du Figaro Magazine se reprend : « Alors, bon, dissoudre c’est peut-être un peu beaucoup, mais peut-être poursuivre ? » (...)

Nicolas Baverez, éditorialiste au Figaro et au Point : « Ça participe de la dégradation de la République. On devrait penser à des réparations civiles. »

La boucle est bouclée. Rééduquons les gauchistes ! (...)

Pas touche à Bernard !

Ces différents appels à la répression – à la faveur desquels des journalistes ont pu sans problème renvoyer dos à dos Attac et Génération identitaire [5] – ont évidemment constitué une belle diversion… pour éviter soigneusement le fond du sujet. Sur BFM-TV au matin du 5 juillet, la rédaction avait pourtant mobilisé un dispositif d’enquête impressionnant : « Nous avons interrogé certains passants, pour savoir si ces images [de la Samaritaine] les avaient choqués ». Le terrain : un seul micro-trottoir dans un parc parisien. La réponse : un badaud qui « ne pense pas que [l’action d’Attac] serve à grand-chose. » Transition très honnête de BFM-TV : « Des responsables politiques de droite comme de gauche ont aussi condamné cette action. » On frôle le prix Albert-Londres.

Quelques heures plus tard sur RMC, l’enquête sociale se durcit. La porte-parole d’Attac Aurélie Trouvé est l’invitée des « Grandes Gueules ». Et en ce lundi noir pour les multinationales, leur communauté vibre à l’unisson d’un seul mot d’ordre : « Au nom de LVMH, haro sur Attac ! » (...)

L’action d’Attac pour Charles Consigny ? « Pas très bienvenue » voire même « très malvenue ». Les grandes multinationales ? « C’est des boîtes magnifiques ! » La philosophie générale de cette histoire ? « Pendant que les zadistes font rien, y a quand même des gens qui font des choses, la maison Dior, le groupe LVMH. Et je ne suis pas sûr que ce soient les premiers qui soient le plus utile à la France. »

Action également non recevable aux yeux de la troisième chroniqueuse, Joëlle Dago-Serry. L’argumentaire d’Aurélie Trouvé ? « Des propos d’élite. […] Tout ce que vous m’expliquez, ce n’est pas la vie. » La vie, la vraie ? « Moi quand je regarde Bernard Arnault et LVMH, je regarde qu’en 2012, il y avait 103 000 salariés et qu’en 2019, on est à 163 000 salariés. Voilà. Donc ça veut dire qu’il y a 60 000 familles qui ont eu accès à un travail d’accord ? » Morale de l’histoire ? « On veut plus de Bernard Arnault, […], voilà ce qu’on cherche ! »

Enfin, du côté de la quatrième et dernière grande gueule Didier Giraud, recevoir une militante de gauche si tôt le matin était déjà de trop : « Ça fait sept minutes qu’Olivier Truchot m’oblige à vous écouter religieusement ! Je vous pose une question précise. Est-ce que la CGT de chez LVMH soutenait le mouvement ? » Sans attendre la réponse, Olivier Truchot répond : « Non. Ils n’ont pas repeint avec vous. […] C’est toute la limite de votre démarche parce que les salariés de LVMH ne vous soutiennent pas dans ce que vous faites ! » Et quand la réponse arrive, Aurélie Trouvé est coupée au bout d’une demi-seconde (...)

Morgue, mépris et disqualification systématiques au menu, à grand renfort d’interruptions intempestives. Aurélie Trouvé mobilise-t-elle les études de l’Observatoire des multinationales sur les licenciements du groupe LVMH ? Source inconnue pour Olivier Truchot : « C’est quoi cet observatoire ? C’est quoi cet observatoire ? [Aurélie Trouvé : « C’est un observatoire qui a été créé par des associations avec des économistes. »] Ah ouais. » La porte-parole pointe-t-elle le problème de la redistribution et des dividendes faramineux ? Le même s’époumone : « Mais comment vous pouvez faire la différence entre le salarié et le patron ! » Condamne-t-elle les licenciements du groupe LVMH ? L’animateur revient encore à l’assaut : « Mais c’est la pandémie ! C’est pas le capitalisme ! […] Vous mélangez tout ! » Aborde-t-elle les conditions des salariés au Smic ? Joëlle Dago-Serry s’indigne : « Allez voir les avantages, le nombre d’avantages qu’ils ont à travailler chez Louis Vuitton ou chez Dior ! Allez voir, allez voir un petit peu ! » Et Charles Consigny d’acquiescer : « Non mais attends Joëlle, tu seras plus heureuse dans un kolkhoze une fois qu’on aura mis en place les idées de l’association d’Attac. Dans les kolkhozes et dans les sovkhozes, les gens étaient heureux, faut pas croire hein ! »

Sans commentaire. (...)

Appels à la répression, injonctions à « condamner », disqualification des opposants politiques, célébration du grand patronat : le journalisme dominant dans ses œuvres, quelques jours après moult reportages louangeurs sur la réouverture de la Samaritaine… À bien des égards, ces cris d’orfraie ne sont pas sans rappeler le concert d’indignation médiatique qui avait accueilli, en 2019, la publication par Le Monde diplomatique d’une carte des lieux de pouvoirs parisiens. À l’époque, nous parlions de médias reconvertis en gardiens de l’ordre, et d’une « élite prompte à violemment disqualifier et torpiller tout ce qui lui paraît sortir du rang. » Critiquer l’accumulation du capital, et égratigner du même coup l’aura de LVMH et de Bernard Arnault – à l’aide d’une banderole et d’un coup de gouache sur une vitrine – en fait évidemment partie. Mais au fond peu importe la « méthode ». Car dans les grands médias, le pré-carré économique est toujours aussi clair : « Il faut plutôt défendre ces grands capitaines d’industrie en France […]. C’est eux qui créent de l’emploi ! […] Bernard Arnault a assuré durant toute cette période le salaire de tous ses salariés. Ce qui est quand même assez extraordinaire. » Alors comme Pascal Praud, tous en chœur : « Merci patron ! »

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[Le patrimoine des 500 plus grandes richesses françaises a augmenté de 30% en un an->https://www.francebleu.fr/infos/societe/le-patrimoine-des-500-plus-grandes-richesses-francaises-a-augmente-de-30-en-un-162565181

Le nombre de milliardaires français est passé de 95 à 109 en un an, en pleine pandémie, selon le magazine Challenges dans un classement à paraître jeudi. Et le patrimoine cumulé des 500 plus grandes richesses richesses françaises a augmenté de 30% sur la même période, entre juin 2020 et juin 2021. (...)