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Au Bhoutan, le bonheur brut est serein malgré les nuages
Article mis en ligne le 15 février 2017
dernière modification le 11 février 2017

Royaume bouddhiste de l’Himalaya, le Bhoutan cultive depuis quarante ans le « bonheur national brut », pensé comme alternative à la croissance économique. Mais ce projet de civilisation est confronté à plusieurs défis

(...) pour qui s’intéresse au bonheur national brut (BNB), cette philosophie qui interpelle de plus en plus d’Occidentaux à la recherche de voies pour « se libérer de la mystique croissance », c’est ici, dans un de ces petits immeubles rectangulaires sagement alignés à l’ombre du dzong, qu’il faut se rendre pour tenter de percer les secrets du laboratoire bhoutanais.

« Le bonheur doit précéder la croissance économique » (...)

« Nous avons un dessein ambitieux : le bonheur et le bien-être de tous les êtres vivants. Le bonheur doit précéder la croissance économique. C’est avec cette boussole que nous conduisons les affaires économiques du pays, mais aussi nos politiques sociales, culturelles et environnementales » (...)

« Nous voulons créer les conditions qui permettent aux gens de vivre une vie heureuse et conduire le développement de façon à ce que le progrès se traduise par un accroissement du bonheur des individus, et non uniquement de la prospérité économique du pays. »

Une étude publiée en 2008 par l’université de Leicester classait le Bhoutan, petit pays de 38.000 km2 et de 765.000 habitants, au 8e rang de la « carte mondiale du bonheur », juste derrière deux pays scandinaves. (...)

Il y a quarante ans, c’était un pays fermé, sans route, hôtel, téléphone, ni monnaie nationale. Le revenu par habitant (2.370 dollars, contre 1.590 dollars en Inde) est, aujourd’hui, l’un des plus élevés d’Asie, l’éducation et la santé y sont entièrement gratuites, et l’espérance de vie à la naissance y a enregistré, en quelques décennies, une rapide progression (70 ans en 2017, contre 50,1 ans en 1987).

La singularité de cet État enchâssé entre l’Inde et la Chine ? C’est sans doute le seul pays au monde à avoir inscrit le bonheur au cœur des politiques publiques. « Si le gouvernement ne parvient pas à créer le bonheur et la paix de ses habitants, il ne mérite pas d’exister », insistait, dès 1729, le code légal du royaume.

« Nous avons annulé des projets de construction de routes »

Repris dans les années 1970 par le quatrième roi, Jigme Singye Wangchuck, le concept du bonheur national brut s’est, peu à peu, institutionnalisé. La Constitution adoptée en 2008, lors de l’avènement de la monarchie constitutionnelle, a sanctuarisé ces principes (...)

Une personne est ainsi considérée comme heureuse dès lors qu’elle atteint un seuil de suffisance dans six des neuf domaines qui composent l’indice du BNB : niveau de vie, santé, éducation, utilisation du temps, résilience écologique, bien-être psychologique, vitalité communautaire et résilience culturelle. (...)

Des quatre piliers mis en place par le Bhoutan, dans les années 1990, (développement économique social et équitable, protection de l’environnement, préservation et promotion de la culture, et bonne gouvernance) de façon à équilibrer bien-être matériel, préservation de sa culture, de ses traditions et de son cadre naturel, c’est celui de la politique environnementale qui semble le plus solide. (...)

Le pays est passé sans heurt, en 2008, d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle, démocratique et participative. Avant de franchir avec succès le cap de la première alternance dans un pays où le niveau de corruption figure parmi les plus bas du monde (27e rang sur 175). (...)

C’est sans aucun doute le « pilier » du développement socioéconomique qui accumule le plus de défis à relever. Classé par l’ONU dans la catégorie des « pays les moins avancés », le Bhoutan est loin d’être autosuffisant. Il dépend encore largement de l’aide internationale et en particulier de celle de l’Inde, son premier bailleur de fonds. La fonction publique étant au complet et le secteur privé plutôt atone, le Bhoutan fait face à une montée du chômage (3 %) et plus particulièrement du chômage des jeunes (10,7 %) qui commencent à voir le BNB comme un frein à leurs aspirations matérielles. « Commençons par développer l’économie du pays avant de nous préoccuper de réaliser le BNB », lance Kinley, un ado de 15 ans qui rêve de partir vivre à Hollywood. (...)

Ces dernières années, quelques syndromes bien connus des pays en voie de développement ont fait leur apparition au pays des dzongs et des chortens (les stupas) : forte progression de l’exode rural, qui dévitalise les campagnes et congestionne la capitale, montée du consumérisme, progression de la petite délinquance et de la violence conjugale qui étaient des phénomènes jusqu’alors inconnus au Bhoutan.

« Si nous ne poursuivons pas sur la voie du BNB, le Bhoutan deviendra un pays comme les autres, malade du marché libre, gaspilleur des ressources et “workaholic” », insiste Dago Beda, une des patronnes les plus influentes de Thimphou, qui dirige une demi-douzaine de PME, dont une télévision par câble en dzongkha, la langue nationale.

« Pour assurer la pérennité de notre modèle de développement, le Bhoutan devra relever le défi de l’autosuffisance en construisant une économie forte et diversifiée », insistait, en octobre 2013, le nouveau premier ministre, Tshering Tobgay, dans la préface à la publication du XIe plan. On commence, tout juste aujourd’hui, à voir poindre les premières pouces de cette économie axée sur le développement d’un tissu de PME respectueuses du BNB.

Assurer la pérennité du modèle supposera aussi de mieux faire comprendre à la population les tenants et aboutissants de cette philosophie ambitieuse (...)