
En s’attaquant aux djihadistes et en creusant des puits, l’armée hexagonale répandrait la joie et la prospérité au Sahel. C’est oublier que les civils qui collaborent avec elle s’exposent à d’implacables représailles des groupes armés. Quand ce ne sont pas les militaires français eux-mêmes qui commettent des bavures. Par sa brutalité et sa maladresse, la France est en train de rater sa « conquête des cœurs » maliens. Récit et témoignages recueillis sur place.
Communiquer sur les succès opérationnels au Sahel, où elle intervient depuis plus de sept ans pour « traquer » les groupes djihadistes : l’armée française sait faire. Communiquer sur ce que l’on appelle, chez les hommes et les femmes en treillis, les actions civilo-militaires : elle sait faire aussi. Inaugurations de puits rénovés par les soldats français, prise en charge de blessés, reconstruction d’un marché, organisation de soins infirmiers dans les villages reculés : tout est bon pour donner une image positive de la présence militaire française. Régulièrement, des articles vantant ces actions sont publiés sur le site du ministère des Armées. (...)
Il s’agit évidemment de « gagner les cœurs et les esprits » des populations des zones concernées, mais aussi d’envoyer un message aux Français : « On ne fait pas que la guerre ici, on fait aussi du développement. »
Le storytelling concocté par l’armée et les responsables politiques français depuis le déclenchement de l’opération Serval en janvier 2013, à laquelle a succédé l’opération Barkhane en juillet 2014, ne s’embarrasse pas de subtilités. L’ennemi est présenté comme un « fou de Dieu » prêt à mourir pour imposer la charia et s’inscrivant dans un « djihad global » au même titre que les assaillants du Bataclan à Paris ou les combattants de l’État islamique au Moyen-Orient, alors que de nombreuses études ont démontré ces dernières années que la plupart des « djihadistes » sahéliens sont en réalité guidés par de tout autres motivations que la religion [1] et qu’ils sont bien souvent prisonniers d’un choix irréfléchi ou d’une mauvaise rencontre. Ce serait en outre une guerre « propre », sans bavure, sans effusion de sang : dans les communications publiques de l’armée, les djihadistes ne sont jamais « tués » ou « assassinés » par des frappes ciblées, mais toujours « neutralisés » – un euphémisme repris depuis par les alliés africains de la France. Quant aux populations civiles, elles seraient forcément ravies de voir les militaires français voler à leur secours, comme ce fut effectivement le cas en 2013, lorsqu’ils avaient chassé les groupes djihadistes des villes de Gao, Tombouctou et Kidal, et elles n’en tireraient que des bénéfices…
La réalité est pourtant bien différente sur le terrain. (...)