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Le Monde Diplomatique
Au Yémen, une année de guerre pour rien
mars 2016
Article mis en ligne le 30 août 2016
dernière modification le 25 août 2016

L’Arabie saoudite et ses alliés peinent à défaire le mouvement houthiste, qui contrôle toujours la capitale du Yémen, Sanaa. Alors que la diplomatie piétine, les dégâts occasionnés par ce conflit s’aggravent et le pays connaît d’ores et déjà un désastre humanitaire.

Dans la nuit du 25 au 26 mars 2015, l’Arabie saoudite, avec l’aide d’une coalition de dix pays musulmans à majorité sunnite, lançait une opération militaire aérienne au Yémen contre les rebelles houthistes. Issus de la minorité zaydite, une branche d’obédience chiite, ces derniers exerçaient depuis plusieurs mois une forte pression sur le pouvoir yéménite, sans toutefois menacer directement le royaume des Saoud (1). Les partisans de M. Abdel Malek Al-Houthi, chef du mouvement de rébellion lancé par son père, avaient contribué à briser la mécanique née du prometteur « printemps yéménite » en poussant à la démission le président de la transition, M. Abd Rabbo Mansour Hadi. Pour ce faire, ils s’étaient alliés avec leur ancien ennemi, M. Ali Abdallah Saleh, président pendant plus de trois décennies. (...)

Au moment du déclenchement de l’opération « Tempête décisive », les houthistes occupaient militairement la capitale, Sanaa, depuis septembre 2014 ; surtout, ils venaient de prendre Aden, la principale ville du Sud. L’objectif affiché par les Saoudiens et leurs soutiens était de rétablir — officiellement à sa demande — le pouvoir de M. Hadi, revenu sur l’annonce de sa démission et exilé à Riyad. Il s’agissait de repousser les miliciens houthistes hors des villes, dans leur berceau septentrional de Saada. Ce projet avait reçu le blanc-seing de la « communauté internationale » à travers la résolution 2216 votée par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis fournissaient la coalition en armes et lui apportaient une aide en matière de renseignement militaire. Sur le plan régional, l’offensive visait à contrer l’influence de l’Iran, accusé d’avancer ses pions par l’intermédiaire des houthistes. Indéniablement, sans nécessairement soutenir M. Hadi, une partie de la population yéménite, notamment celle originaire des régions du Sud et opposée à M. Al-Houthi, a accueilli favorablement l’intervention de l’Arabie saoudite et de ses alliés (2).

Au terme de cette première année de guerre, la coalition et ses soutiens locaux ou internationaux n’ont que très partiellement atteint leurs objectifs (...)

Par ailleurs, les houthistes continuent de tenir fermement la capitale, Sanaa. Ils ne se heurtent pas à une résistance armée des tribus ou des populations environnantes, de sorte que les combats au sol dans la ville et alentour sont rares. Ils répriment sans ménagement l’opposition, les intellectuels indépendants et les acteurs islamistes sunnites, en s’appuyant sur l’appareil sécuritaire de l’ancien régime. L’offensive aérienne saoudienne semble avoir amplifié le soutien dont ils bénéficient dans le quart nord-ouest du pays, majoritairement zaydite et densément peuplé. La prise de la capitale par ceux qui appuient l’effort de reconquête de M. Hadi ne sera donc pas chose aisée.

De plus, la coalition, qui intervient au sol depuis juillet, a déjà subi des pertes importantes. (...)

En dépit des bombardements et de l’exil du gouvernement reconnu par la « communauté internationale », les houthistes maintiennent un semblant d’Etat. Ils assurent la continuité de certaines institutions, comme le service des visas et la police des frontières, la justice et les universités. Ils versent aussi les salaires des fonctionnaires, y compris ceux de certaines zones du Sud. Des rumeurs font état d’une diminution rapide des réserves de la banque centrale, sans que l’on dispose d’aucun chiffre fiable à ce sujet.

Prise par les houthistes en mars 2015, la troisième ville du pays, Taez, a été à plusieurs reprises proclamée « libérée » par des combattants ayant à leur tête M. Hamoud Al-Mikhlafi, chef tribal du parti islamiste Al-Islah. Pourtant, alors même que les houthistes n’y bénéficient que d’un très faible soutien, elle reste le théâtre de combats violents. Les rebelles tiennent la ville avec leurs alliés de l’armée ; ils ont été accusés de bloquer l’arrivée de l’aide humanitaire, mais aussi d’enlever des journalistes et des militants. Le destin de la population de Taez, confrontée à un blocus parfois comparé par ses habitants à celui de Gaza, a été massivement exploité sur les réseaux sociaux pour illustrer les crimes des miliciens houthistes. Une logique de concurrence victimaire s’est ainsi instaurée, empêchant de voir la complexité du conflit et le partage des responsabilités entre les deux camps. (...)

Le bilan de la campagne lancée par les Saoudiens est donc peu reluisant. La stratégie militaire a rapidement montré ses limites, d’autant que les forces houthistes se sont même révélées capables de mener des incursions en territoire saoudien. Au Yémen, on dénombre plus de quatre mille victimes civiles. Les organisations non gouvernementales s’alarment d’un risque aigu de famine dans un pays où 80 % de la population a un besoin urgent d’aide et où deux millions et demi de personnes ont été déplacées. La destruction des infrastructures, des routes et des ponts, mais aussi des hôpitaux, rend le travail humanitaire très difficile. De part et d’autre, les belligérants, tant locaux qu’étrangers, affichent un mépris évident pour les conventions internationales. Bien que tous les protagonistes aient commis des crimes de guerre, le conflit continue de passer sous le radar médiatique, et rien n’indique qu’ils soient en passe de réévaluer leur stratégie. (...)

La dissolution de l’Etat, la destruction des infrastructures ou l’effacement des partis politiques, autrefois fortement ancrés dans la société, ont de quoi inquiéter. Ils laissent la place à une économie de guerre, à un marché noir lié à la pénurie, aux « seigneurs de la guerre » et aux milices, ainsi qu’à une fragmentation identitaire doublée d’une polarisation violente entre sunnites et chiites.
Relatif désintérêt du Conseil de sécurité

Face à une telle évolution, une internationalisation pourrait se révéler constructive. Peut-on en effet laisser les protagonistes se débrouiller entre eux ? Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et les autres membres de l’Union européenne ont laissé filer le dossier yéménite ; ils ont sous-traité sa gestion à l’Arabie saoudite. (...)

Au-delà des questions liées à l’arrêt des hostilités, les perspectives de développement économique ont été trop négligées lors de la phase de transition, entre 2012 et 2014. Cette défaillance a contribué à saper le pouvoir de M. Hadi et à accroître la popularité des houthistes, des sudistes et de certains djihadistes, qui s’inscrivaient en dehors de la politique institutionnelle. Une stratégie d’aide cohérente devrait impliquer non seulement les puissances régionales, mais aussi les pays européens et nord-américains. A long terme, cette forme d’internationalisation se révélerait non seulement moins coûteuse que l’intervention militaire actuelle, dont on estime le coût à 200 millions de dollars par jour, mais aussi, sans conteste, plus efficace.