Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
l’Express
Au coeur d’un foyer expérimental pour le retour au pays des déboutés du droit d’asile
Article mis en ligne le 22 septembre 2015

A Vitry-sur-Orne, en Moselle, le gouvernement teste un dispositif à destination des déboutés du droit d’asile : un centre d’hébergement dont l’objectif est d’accélérer les retours. La méthode ? Un subtil mélange d’incitation et de coercition. Visite en exclusivité.

(...) Longtemps, le bâtiment fut un foyer de travailleurs étrangers. Aujourd’hui, il abrite une expérience menée dans la plus grande discrétion par le ministère de l’Intérieur et que L’Express a pu suivre en exclusivité. Ici, à Vitry-sur-Orne, en Moselle, on est à rebours de l’accueil offert ces derniers temps aux réfugiés en provenance de Syrie, d’Irak ou d’Erythrée. Ici, par un subtil dosage d’incitation et de pression, on pousse des déboutés du droit d’asile kosovars, bosniaques ou albanais à repartir dans leurs pays. (...)

L’éloignement forcé des familles, un vrai casse-tête

Au début de 2015, la préfecture de la Moselle se porte volontaire pour tester cette initiative. Depuis trois ans, le département connaît une forte progression du nombre de demandeurs d’asile : 1582 en 2013, 2016 en 2014 et 1567 sur les huit premiers mois de 2015. La plupart proviennent des Balkans (région considérée comme "sûre" par l’Ofpra). Ils sont en famille, et l’écrasante majorité (90%) d’entre eux voit sa demande rejetée en première instance et en appel. Au total, sur les 4000 places d’hébergement disponibles dans la Moselle, 30% sont occupées par des demandeurs en cours de procédure, 70%, par des déboutés. Au rythme de 150 à 250 arrivées par mois, la saturation est proche. (...)

La situation des familles, en particulier, est un vrai casse-tête. Pas question de les placer avec des enfants mineurs en centre de rétention, le pouvoir s’y est engagé. Et l’éloignement après une assignation à résidence tourne vite à la polémique : l’affaire Leonarda, du nom de cette jeune fille expulsée avec ses proches vers le Kosovo en octobre 2013, a laissé des traces profondes dans la majorité. (...)

70% des places d’hébergement disponibles dans la Moselle sont occupées par des déboutés du droit d’asile.

Vincent Kessler pour L’Express
A Vitry-sur-Orne, en Moselle, le gouvernement teste un dispositif à destination des déboutés du droit d’asile : un centre d’hébergement dont l’objectif est d’accélérer les retours. La méthode ? Un subtil mélange d’incitation et de coercition. Visite en exclusivité.

L’extérieur a la banalité rosâtre d’un immeuble de cinq étages ; l’intérieur respire la lassitude des lieux collectifs qu’atténue une légère odeur de peinture fraîche. Longtemps, le bâtiment fut un foyer de travailleurs étrangers. Aujourd’hui, il abrite une expérience menée dans la plus grande discrétion par le ministère de l’Intérieur et que L’Express a pu suivre en exclusivité. Ici, à Vitry-sur-Orne, en Moselle, on est à rebours de l’accueil offert ces derniers temps aux réfugiés en provenance de Syrie, d’Irak ou d’Erythrée. Ici, par un subtil dosage d’incitation et de pression, on pousse des déboutés du droit d’asile kosovars, bosniaques ou albanais à repartir dans leurs pays.
L’éloignement forcé des familles, un vrai casse-tête

Au début de 2015, la préfecture de la Moselle se porte volontaire pour tester cette initiative. Depuis trois ans, le département connaît une forte progression du nombre de demandeurs d’asile : 1582 en 2013, 2016 en 2014 et 1567 sur les huit premiers mois de 2015. La plupart proviennent des Balkans (région considérée comme "sûre" par l’Ofpra). Ils sont en famille, et l’écrasante majorité (90%) d’entre eux voit sa demande rejetée en première instance et en appel. Au total, sur les 4000 places d’hébergement disponibles dans la Moselle, 30% sont occupées par des demandeurs en cours de procédure, 70%, par des déboutés. Au rythme de 150 à 250 arrivées par mois, la saturation est proche.

>> Notre dossier : Immigration et intégration en France

Le contexte local correspond au projet gouvernemental né au moment du débat sur la loi sur le droit d’asile. Poussé par la droite, le ministère de l’Intérieur l’admet : sur l’ensemble des déboutés (44700 en 2014), seuls de 10 à 20% quittent le territoire après le rejet de leur demande. La situation des familles, en particulier, est un vrai casse-tête. Pas question de les placer avec des enfants mineurs en centre de rétention, le pouvoir s’y est engagé. Et l’éloignement après une assignation à résidence tourne vite à la polémique : l’affaire Leonarda, du nom de cette jeune fille expulsée avec ses proches vers le Kosovo en octobre 2013, a laissé des traces profondes dans la majorité.
A la préfecture comme au foyer, une "amicale" pression et un discours rodé incitent au retour.

A la préfecture comme au foyer, une "amicale" pression et un discours rodé incitent au retour.

Vincent Kessler pour L’Express

Dans l’opposition, Valérie Létard, sénatrice UDI, plaide pour dupliquer une expérience menée en Belgique de centres accompagnant les déboutés vers un retour. Le ministère hésite, puis se laisse convaincre. A condition qu’aucune publicité ne soit faite autour de l’ouverture du centre ; il n’a d’ailleurs pas d’existence juridique - ce que critiquent plusieurs associations.
Être choisi pour Vitry, c’est une punition

Vitry-sur-Orne, à 25 kilomètres au nord de Metz, a l’avantage de la discrétion. Propriété d’Adoma (ex-Sonacotra), le foyer de travailleurs est en partie vide. Les usines des alentours ont réduit la voilure, quand elles n’ont pas fermé. Au bout de la rue, en contrebas, se dresse la silhouette métallique de la plus emblématique d’entre elles, l’usine de Gandrange d’ArcelorMittal. Les chambres qui, aux grandes heures de la sidérurgie lorraine, avaient été divisées en deux et ne faisaient plus que 4,50 mètres carrés, ont retrouvé leur surface initiale.

Le lieu identifié, la préfecture entre en scène. Le service des étrangers repère, dans ses dossiers, des cas qui correspondent aux critères suivants : avoir été débouté de la demande d’asile, y compris en appel, ne pas avoir déposé une demande de titre de séjour pour un autre motif (maladie...), une obligation de quitter le territoire français (OQTF). (...)

en contrepartie d’un prochain départ volontaire, la famille bénéficiera d’un hébergement à Vitry-sur-Orne le temps de s’y préparer, recevra une somme de 8 euros par jour par adulte et de 4 euros par enfant, pour se nourrir, et une aide au retour. Plus que ce à quoi ont droit, en principe, les déboutés, mais pas suffisamment pour les convaincre.

Pour les migrants, être choisi pour Vitry, c’est une punition, pas une opportunité. C’est la fin de leur rêve d’une installation définitive en France. "Pourquoi nous ?" - la question fuse aussitôt. Depuis le mois d’avril, un seul étranger a accepté d’emblée la proposition, tous les autres l’ont déclinée. (...)

. Côté préfecture, le ton se fait alors moins accommodant. Les parents sont informés que, s’ils refusent, ils ne pourront pas réintégrer le logement qu’ils occupaient jusqu’alors. Et ce n’est pas une parole en l’air : le temps de leur passage à la préfecture, consigne a été donnée au gestionnaire de leur hébergement de mettre fin à leur accueil. (...)

Les déboutés sont si réfractaires à l’idée d’un départ que, malgré la perspective d’un toit, sur trois familles convoquées, une seulement - parfois deux - accepte de se rendre à Vitry-sur-Orne. Les autres disparaissent dans la nature, souvent hébergées par des membres de leur communauté. (...)

L’amicale pression se poursuit à Vitry-sur-Orne. Il faut rallier la famille à l’idée d’un départ volontaire. La préfecture assume, une nouvelle fois, le rôle du méchant. Tous les étrangers sont soumis à une assignation à résidence de quarante- cinq jours. Le compte à rebours commence. A son terme, c’est le départ. Chaque lundi, entre 15 et 17 heures, les gendarmes sont là pour vérifier la présence des uns et des autres. (...)

Au début de 2016, Vitry-sur-Orne doublera sa capacité d’accueil, après des travaux de remise en état, et hébergera des groupes en provenance de départements proches (Meurthe-et-Moselle, Vosges...). Le signe que l’expérience a fait ses preuves ? Le premier bilan, à l’issue d’une période de cinq mois, suscite le doute : 43 personnes sont sorties du dispositif, mais seules 13 ont effectivement pris le chemin du retour sur la base du volontariat.

Une famille dont le père était en mauvaise santé a pu rester, en obtenant un titre de séjour pour "étranger malade". 17 cas sont estampillés "échec" ; en réalité, ils sont en fuite (...)

Quant aux neuf autres personnes, elles ont refusé jusqu’au bout l’aide au retour et ont été éloignées de force. "Il fallait montrer aux autres que refuser ne sert à rien et que nous étions prêts à aller jusque-là", indique-t-on à la préfecture. (...)