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Le nouveau Jour J
Au cœur du démantèlement du bidonville de Metz (partie 3)
Le mensonge des jours d’après, l’ignorance des leçons d’hier
Article mis en ligne le 4 décembre 2017

Tout était tellement prévisible... Le 15 novembre, les services de la préfecture de Moselle transféraient près d’un millier de migrants qui occupait le camp Blida, le bidonville de Metz, dans toutes sortes de structures d’hébergements. En promettant, à tous, de dormir « sous un toit », « au chaud ». Et en anticipant, déjà, le « jour d’après », afin que les « personnes vulnérables » arrivées au lendemain du démantèlement soient mises à l’abri elles aussi. Aucune de ces belles paroles ne sera tenues. Deux semaines plus tard, 200 personnes sont déjà de nouveau à la rue. C’est le même scénario que l’année dernière, et que celle d’avant encore, etc., etc. Le même, oui, mais en pire...

Pas d’argent, pas de toit

Le soir même, sept mineurs isolés, jusqu’alors hébergés au Centre départemental de l’enfance, se retrouvaient sans abri. « L’aide sociale à l’enfance, suite à l’évaluation de leur dossier, a décrété que rien ne prouve qu’ils sont mineurs. Or, prenons l’exemple du gamin que j’ai pris en charge : il a, entre temps, récupéré les documents justifiant sa minorité. Si le Centre départemental de l’enfance avait fait son boulot, il ne l’aurait pas mis dehors », dénonce une bénévole qui vient en aide aux migrants.

Alors certes, ces sept jeunes hommes ne faisaient pas partie du camp Blida. Certes, la décision de les livrer à la rue ne dépend pas de la préfecture, mais de l’Aide sociale à l’enfance, et donc du Conseil départemental. Mais ils n’empêche : ils ne se sont pas réveillés au chaud. Et quand ils toquent à la porte du 115, et donc de la préfecture, voilà qu’ils doivent prouver qu’ils sont majeurs... (...)

Les occupants de Blida, maintenant. Les centaines de personnes qui survivaient sur le camp jusqu’au 15 novembre ont bien été transférées dans l’un des 25 bus ou cars partis de Metz. Censés être emmenés vers toutes sortes d’hébergements d’urgence, bâtiments désaffectés réquisitionnés et autres Centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), ils devaient tous se réveiller au chaud, donc, le lendemain du démantèlement. Théoriquement...

Selon des bénévoles, onze migrants envoyés à Charleville-Mézières sont repartis du lieu d’ « accueil » qui leur était destiné après que les travailleurs sociaux leur aient réclamé, en contrepartie de leur hébergement, deux euros par nuit. Pas d’argent, pas de toit : aussi simple que ça. Or, certains exilés n’ont strictement rien, pas même l’allocation pour demandeur d’asile (6,80 euros par jour pour une personne isolée hébergée en centre). Ces onze personnes auraient tenté de retourner sur Metz le soir-même. Difficile de savoir la suite de leurs mésaventures. Une bénévole a tout de même garder contact avec un homme qui faisait partie du groupe : « Il est revenu de Charleville en stop et s’est rendu au lycée Poncelet, qui vient d’être réquisitionné pour accueillir les anciens de Blida. Il croyait y passer la nuit, mais l’entrée lui a été refusée... »

« Le comble, ajoute-t-elle, est qu’on peut considérer comme un refus d’hébergement le fait d’être reparti du lieu d’accueil, même faute de moyens. Théoriquement, ils risquent d’être interdits de leurs droits à l’hébergement, alors qu’ils ne demandent pas mieux que de dormir sous un toit... »

« Ce soir toutes les personnes du camp dormiront sous un toit » (lettre transmise le matin du démantèlement à tous les occupants de Blida)

Lors du précédent démantèlement, jusqu’au dernier moment, personne ne connaissait la destination des cars. Cette année, grande avancée, les chauffeurs étaient tout de même informés avant de démarrer. Les autres, en revanche... Les migrants pouvaient toujours deviner s’ils allaient se retrouver à l’autre bout du département ou à l’autre bout de la France. Quant aux travailleurs sociaux, ils ont appris qu’ils allaient accueillir des nouveaux arrivants... le jour même. (...)

Metz-Nancy en 12 heures en passant par Bordeaux

Le 17 novembre, soit deux jours après l’arrivée de Chaké et Dikran à Bordeaux, l’assistante sociale censée accueillir ce couple leur paye... un ticket de TGV direction Metz. Retour à la case départ ! (...)

on est demandeurs d’asile, on n’a jamais eu d’obligation de quitter le territoire français, ni quoi que ce soit. » Vu le degré d’improvisation qui caractérise les démantèlements du camp Blida, on peut supposer sans trop éprouver de gêne d’un point de vue déontologique que l’Ofii a envoyé ce couple dans une structure prévenue à la dernière minute et qui n’avait plus aucune place à lui accorder.

En attendant, malgré l’état de santé préoccupant de Dikran (blessé au pied), ces deux-là ont dormi dehors, sous la neige, plus de deux semaines parmi les « recalés » du démantèlement (on y reviendra).

Douze ressortissants de Blida ont bien dormi au chaud, la nuit du démantèlement, ça on en est sûrs. Embarqués dans les fourgons de la police aux frontières devant tout le monde, ils ont été hébergés... au Centre de rétention administrative, dernière étape avant l’expulsion. Deux familles avec des enfants de deux à sept ans ont donc dormi dans un lieu de privation de liberté, situé, ça en dit long, à côté de la maison d’arrêt de Metz-Queuleu. Le droit international interdit pourtant la pratique (...)

« Parmi les personnes ainsi piégées [lors du démantèlement], note Éric Graff, le porte-parole du Collectif mosellan contre la misère, se trouvait un couple avec deux enfants de cinq et six ans. Nous les connaissions pour avoir à trois reprises alerté, en vain, la directrice de la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DCCS), Madame Anoutchka Chabeau sur leur particulière vulnérabilité. La mère des enfants souffrait de problèmes gynécologiques très douloureux, attestés par quatre certificats médicaux que nous lui communiquions. Quelques jours encore avant le démantèlement du bidonville, elle avait été transportée à l’hôpital, avant de revenir dormir sous sa tente isolée du sol par une palette de chantier. » (...)

« Si demain matin, il arrive 2 000 personnes, nous n’aurons pas les moyens de les mettre à l’abri », conclut madame Chabeau. Mais il n’a pas fallu 2000 personnes pour que ses services soient débordés : 200 ont suffi. Un dixième.

Même pas deux semaines après le démantèlement, le 29 novembre, les services de préfecture reconnaissent que 200 personnes sont (déjà) de nouveau à la rue. Et que, comme par hasard, le nombre de demandes d’asile et de nouveaux inscrits au Dispositif premier accueil géré par l’AIEM (Association d’Information et d’Entraide Mosellane) s’élève également à 200... Le calcul n’est pas bien compliqué : aucune place, ou presque, n’était prévue pour les personnes qui allaient arriver sur Metz au lendemain du démantèlement. Les propos tenus par madame Chabeau, que les journalistes se sont empressés de rapporter, étaient faux. Eux aussi.

Sur ces 200 personnes sans abri, une cinquantaine ont été aperçues, dès le 28 novembre, près de l’ancienne Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (Pada), située avenue Blida. Un nouveau bidonville se reformait. À deux pas de l’ancien... (...)

« Refoulés d’Allemagne (...) ils ont tous téléphoné au 115 qui leur répond invariablement qu’il n’y a pas de place. Ils sont là perdus au milieu de leurs bagages », avertira Marie-Paule, une militante, sur Facebook. Ils seront une soixantaine, au final, et on ne comptera plus les enfants et les bébés parmi eux. Tous à la rue. Sous la neige. « Il a fallu littéralement harceler les services de l’État pour obtenir quelques miettes, s’indigne Éric Graff dans ce message du collectif, à savoir la mise à l’abri pour [une] nuit, et pas la suivante, des nourrissons et de leurs parents. Demain matin, à sept heures, on les remet sur le pavé, juré, promis, craché, foi de préfet, de maire et de haut fonctionnaire. »

Ce 2 décembre, le Collectif mosellan de lutte contre la misère et des bénévoles appartenant à d’autres groupes ont permis à ces familles d’être épargnées du froid en prenant l’initiative de réquisitionner un gymnase en plein match de basket-ball. Quarante-quatre personnes y ont passé une première nuit, tandis qu’une vingtaine d’autres étaient soudainement hébergées par le 115. Certaines d’entre elles n’étaient pas de nouveaux arrivants, et c’est là le plus inquiétant. Dans le lot, il y avait d’anciens occupants du camp Blida. Qui étaient là avant le démantèlement. Et qui se sont retrouvés de nouveau à la rue, après...

Nous y reviendrons plus en détails une autre fois. Mais s’il est une chose à retenir pour le moment, c’est que ce mouvement de solidarité citoyenne, quasi improvisé, mine de rien pourrait bien éviter un scénario d’enfer similaire à celui qui s’est écrit, il y a un an exactement, sous le pont de l’avenue Blida. Mais encore faut-il que les pouvoirs publics acceptent cette « solution » faute de l’avoir trouvée. La crainte partagée par tous les bénévoles est que les autorités qui ne sont pas parvenues à sortir de la rue ces femmes, hommes et enfants (nourrissons inclus) les y replongent. (...)

Au lycée Poncelet, enfin, les informations ne manquent pas. Un responsable (sans doute d’Adoma) est cité dans le Républicain Lorrain : « Ce n’est pas génial, mais c’est mieux qu’à Blida et en tout cas ce n’est pas inhumain. » Si c’est pas inhumain, alors...

Les bénévoles sont refoulés à l’entrée. Sauf lorsqu’Adoma a besoin d’eux pour régler des tensions, apaiser un conflit, par exemple. La « société spécialisée dans l’accueil des demandeurs d’asile » sait faire appel aux bénévoles, en urgence, en pleine soirée dans ces cas-là. Pour la nourriture aussi, Adoma se repose sur un collectif de bénévoles et sur la banque alimentaire. Qui, forcément, font avec les moyens du bord. « La fois où l’on s’est rendus au lycée, nous rapporte-t-on, le repas c’était huit caisses de hot-dogs industriels dont la date de péremption était dépassée depuis trois jours. Il n’y en avait même pas assez pour tout le monde. »

« Un toit pour l’insertion, la solidarité en actions » (slogan d’Adoma)

Le ménage est confié à une société extérieure, tout comme la sécurité. Trois vigiles sont présents la journée, quatre la nuit. Mais il n’y a aucun travailleur social pour accompagner les occupants dans leurs démarches quotidiennes. La Directrice territoriale d’Adoma a assuré lors de la réunion qui s’est tenue en mairie, le 29 novembre, que deux travailleurs sociaux vont être embauchés, ainsi qu’une responsable de site. « Mais ils n’auront pas pour mission d’assurer l’accompagnement juridique. » Ne parlons pas de cours de français, ni même d’activités... Ce genre d’initiatives pourra toutefois être assuré par des associations conventionnées.

Le réveil est fixé à 7 heures. Interdiction d’occuper les chambres de 8 h 30 à 18 heures. Officiellement, les parties communes restent accessibles en journée. Mais de parties communes justement, il n’y a pas grand chose. (...)

Ah. Et puisqu’on en est au passage de description de la misère, encore une chose. Passées 22 heures, les chauffages sont coupés dans les chambres. La nuit, ça caille. Là aussi, monsieur le Secrétaire général de la préfecture, les migrants ne se réveillent pas au chaud.