
Pendant que les éditorialistes de BFMTV saluent la franchise du préfet Lallement et se lamentent sur les “saccages” des “casseurs” sans jamais évoquer les violences policières, LCI et France 2 disculpent les forces de l’ordre pour l’éborgnement d’un manifestant pacifique place d’Italie, samedi dernier.
« Parlons de cette fameuse loi anti-casseurs. » Lundi matin, sur LCI, les terribles images de l’ignoble dégradation de la plaque commémorative du maréchal Juin tournent en boucle. La chroniqueuse Monia Kashmire interroge le représentant du Syndicat des commissaires de police : « Cette loi anti-casseurs a mis en place certaines innovations, comme la fameuse PMC, cette peinture qui peut marquer des gens. Pourquoi est-ce qu’on l’utilise pas ? » « Oui, il faut du marquage, plaide David Le Bars. Il faut qu’on puisse marquer les auteurs pour aller les chercher après. » Pourvu que le marquage soit aussi précis que les tirs de LBD, ça devrait permettre de mettre quelques dizaines de milliers de manifestants sous les verrous.
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« On voudrait vous montrer une séquence qui est beaucoup commentée, propose la présentatrice Audrey Crespo-Mara. On y voit un manifestant visé par les forces de l’ordre. » Seulement visé, à peine atteint. Après la diffusion de la séquence beaucoup commentée, elle interroge : « De quel tir s’agit-il ? » « On a un manifestant qui est en situation pacifique, qui ne fait rien et qui reçoit un projectile dans la tête », décrit David Le Bars tandis que les terribles images de l’ignoble dégradation de la plaque commémorative du maréchal Juin recommencent à tourner en boucle. « Et il faut dénoncer ce type de geste, tout en étant prudent sur l’auteur. » Un casseur aura pu subtiliser un lance-grenade aux forces de l’ordre et s’en servir pour éborgner un manifestant pacifique. (...)
David Le Bars précise : « Il reçoit une grenade MP7, lacrymogène. » Audrey Crespo-Mara lui tend la perche : « Elle est forcément tirée par les forces de l’ordre, cette grenade ? » « Non, c’est là où je veux en venir. Sans faire de complotisme, si elle est ramassée sans avoir explosé, elle peut aussi être lancée par un individu qui n’est pas dans les forces de l’ordre. » Sans faire de complotisme, c’est peut-être Manuel, le manifestant, qui se l’est lui-même envoyée dans l’œil pour pouvoir jouer au martyr. « A priori, statistiquement, explique le syndicaliste, on a plutôt des tirs faits par des policiers ou des gendarmes. » Statistiquement, les manifestants tirent assez peu de grenades lacrymogènes. Mais, sans faire de complotisme, il est toujours possible de faire mentir les statistiques. (...)
« Les casseurs sont passés à l’acte avant même que la manifestation ait démarré, explique Laurent Neumann. Du coup, on ne peut plus faire autrement que d’interdire la manifestation pour protéger les gens qui avaient l’intention de manifester. » En les nassant sans possibilité de sortie, en les noyant sous les lacrymos, en les visant au LBD et en éborgnant un manifestant… Voilà ce que l’éditorialiste appelle « protéger les gens ». (...)
Laurent Neumann prend pitié des autorités qui sont dans le camp du bien. « Si jamais il y a une victime, un mort pendant ces manifestations… » Heureusement que ce n’est jamais arrivé, que ni Zineb Redouane ni Steve Caniço n’ont trépassé. « … Qui va-t-on montrer du doigt ? » De la main qui n’a pas été arrachée. « Le ministre de l’Intérieur, le gouvernement et le préfet. Donc c’est la hantise de tous les gouvernements. » Mais pas des éditorialistes de BFMTV, toujours pas au courant des deux décès. (...)
Il faut attendre mercredi pour que BFMTV diffuse la version du manifestant éborgné, Manuel, interrogé sur son lit d’hôpital. Le blessé décrit la nasse, raconte qu’il a cherché à s’en échapper avec sa compagne, mais voilà, « c’est un guet-apens, on ne pouvait pas sortir ». Il explique que, quand il a reçu la grenade, il se trouvait à l’opposé de l’endroit où avaient lieu des affrontements. Le reporter pose une question judicieuse : « Mais comment vous l’expliquez ? Parce que c’est une vraie lacrymogène, c’est même pas un tir de LBD. » Avis aux forces de l’ordre : pour éborgner, merci de vous servir de vos LBD plutôt que de vos lance-grenade.
Le 20 heures de France 2, mardi soir, ne lésine pas non plus sur l’hypocrisie. Au point de s’adonner à la désinformation. Anne-Sophie Lapix annonce : « Un manifestant calme a soudain reçu un projectile dans l’œil. » Un projectile ? Ce pourrait être un pavé lancé par un casseur. « Attention, certaines images sont difficiles. » Après les images difficiles de Manuel et du « projectile » jamais nommé, la compagne du blessé témoigne : « Je suis révoltée, je comprends pas. » Ce très bref extrait tout en émotion édulcore soigneusement l’interview présentée seulement sur Twitter par France 2 : évacué, « le sang qui gicle », évanouie, la réflexion sur le droit de manifester pacifiquement sans être mutilé. « Incompréhension aussi pour cette manifestante qui accompagnait le couple, reprend la reporter. D’autant que selon elle, le groupe se trouvait loin des heurts. » « On se déplaçait de façon à toujours essayer de se protéger. » (...)
« Alors, que s’est-il passé ? » Sur France 2, il s’est passé ce que la préfet et les policiers prétendent. « Des débordements éclatent, le préfet décide d’interdire le rassemblement. Certains manifestants refusent de quitter la place. » France 2 ment. Selon de nombreux témoignages, dont ceux d’Olivier Besancenot sur BFMTV, de Mathilde Larrère et de Manuel lui-même, les cordons de CRS empêchaient de quitter la place… et permettaient d’y rentrer, comme dans un véritable piège. Mais la chaîne publique décide de relayer la version des meilleurs experts qui soient : « Selon ce syndicat de police, le Gilet jaune blessé se retrouve alors derrière un groupe de casseurs. » (...)