
Aujourd’hui, de part et d’autre de l’Atlantique, des élections se préparent ; des femmes et des hommes briguent le pouvoir suprême et ses honneurs. La démocratie se donne une nouvelle fois en spectacle mais le clinquant médiatique et l’apparât de la mise en scène ne parviennent plus à masquer la pathologie qui la ronge et qui la transforme en une farce tragique. Jusquà présent, la maladie a progressé à bas bruit, le peuple souffe mais sans manifester d’excès de fièvre, sans trop de convulsions ; les choses pourraient bien s’accélérer.
Jamais le fossé et l’incompréhension n’ont été aussi profonds entre le peuple et ses représentants. Les nationalistes, les populistes d’extrême droite, progressent tandis que les tenants du système comptent une nouvelle fois sur une victoire par défaut. Aux USA comme en France, quel que soit le résultat du scrutin, des crises encore plus profondes menacent.
En France tout particulièrement, le vote citoyen ne débouche plus depuis des décennies que sur d’amères déceptions et désillusions . La démocratie est délégitimée et ne paraît plus permettre d’alternative véritable ; Le corps électoral a perdu confiance, il est désormais composé pour une grande part d’abstentionnistes désabusés qui refusent de participer à la reproduction d’une forme de voyoucratie et de légitimer une Vème République qui se révèle incapable de porter l’interêt général.
Dans son ouvrage « Une nouvelle conscience pour un monde en crise – Vers une civilisation de l’empathie » Jeremy Rifkin écrit que « L’histoire est faite la plupart du temps par les mécontents et les furieux, les excédés et les rebelles – par ceux qui aspirent à exercer l’autorité, à exploiter les autres, et par leurs victimes, intéressées quant à elles à obtenir réparation et à rétablir la justice. Dans ces conditions, l’histoire qui s’écrit a pour grand sujet la pathologie du pouvoir. »
La primaire de la droite offre le spectacle saisissant de cette pathologie du pouvoir qui affecte la vie politique et la pseudo-démocratie française tournées vers l’élection de son roi-président. Le petit club d’ambitieux narcissiques qui s’affrontent à cette occasion apparaît totalement coupé du monde des travailleurs. Ces candidats de la droite extrême qui vivent très confortablement aux frais de la république n’ont à la bouche que les mots de rigueur et d’austérité, de diminuti on des droits et acquis sociaux, alors même que le nombre de personnes en difficulté ne cesse d’augmenter. Comment peut-on émettre un avis sur le niveau du SMIC, sur la fiscalité, ou sur toute proposition affectant le pouvoir d’achat quand on estime, ainsi que l’a révêlé une interview de Jean-François Coppé, le prix d’un petit pain au chocolat entre 10 et 15 centimes d’euros ? Comment peut-on proposer, en période de chômage de masse, le recul de l’ âge légal de départ à la retraite à 65 ans et le passage de 35 à 39 heures de travail hebdomadaire comme le fait Alain Juppé ? En outre, les deux principaux prétendants, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, condamné par la justice pour l’un et mis en examen pour l’autre, ont un passif effrayant qui devrait les disqualifier totalement pour une élection destinée à élire le président d’une république qui se définit comme étant « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » (art. 2 de la constitution).
Plus généralement, nos gouvernants semblent avoir perdu totalement la capacité de se mettre à la place des gens ce que suggèrent d’ailleurs des études récentes en neurosciences qui montrent que « le pouvoir diminue toutes les variétés de l’empathie » (Dacher Keltner, psychologue social à l’université de Californie -lire ici)
Mais nous arrivons au seuil de tolérance vis-à-vis d’un système autiste qui pousse toujours plus loin la logique de la force et de la domination. Si rien ne change, si nos élus politiques ne retrouvent pas le chemin de l’empathie, tous « les mécontents et les furieux, les excédés et les rebelles » pourraient bien s’exprimer ailleurs que dans les urnes. L’histoire retient probablement son souffle avant d’aborder un grand virage.
Jean-Luc Gasnier