
(...) En cas de victoire, la politique menée par le FN prendra-t-elle vraiment le virage social affiché dans les discours ? Les mesures mises en œuvre par les maires frontistes, au sein de la vingtaine de villes qu’ils administrent, nous donnent des éléments de réponses. Austérité budgétaire, affaiblissement des services publics, abandon des populations les plus modestes, vision néolibérale du travail… Entre les belles déclarations de ses leaders et son véritable programme tel qu’il est appliqué, il y a un abîme.
Économiser 29 000 euros sur un budget annuel d’environ 30 millions, tel est l’argument de Joris Hébrard, maire FN du Pontet (17 000 habitants, Vaucluse), pour supprimer, en juin 2014, deux mois à peine après son élection, la gratuité totale de la cantine scolaire, dont bénéficiaient les familles les plus pauvres. 65 enfants sont concernés. Leurs parents doivent désormais s’acquitter de 1,57 euro par repas et par enfant. La somme peut paraître dérisoire. « Les familles doivent contribuer aux charges collectives. Ce qui est gratuit pour les uns est payant pour les autres, car le coût est supporté par la collectivité », fait d’ailleurs valoir Xavier Magnin, directeur de cabinet du maire.
Mais pour une famille monoparentale, comme il en existe 1,8 million en France, cela constitue une lourde charge, surtout si le parent travaille à temps partiel au Smic, ou s’il perçoit un minima social à cause du chômage. Avec deux enfants à charge, le coût de la cantine de cette banlieue d’Avignon peut avoisiner 10 % du budget familial. De son côté, le maire n’a pas hésité à faire « supporter par la collectivité » une augmentation immédiate de son salaire de 44 % – 1 000 euros par mois – pour arriver à une rémunération brute de 3 281 euros. Question de priorité dans la défense de l’intérêt général, probablement.
Le FN n’est pas le seul à compliquer la vie des pauvres
À Villers-Cotterêts (10 700 habitants, Aisne), le frontiste Franck Briffaut a aussi fait du coût de la cantine scolaire sa priorité. Le prix du repas à la cantine augmente de un euro pour atteindre 2,5 euros. Pour notre famille monoparentale à faibles revenus, avec deux enfants scolarisés, cela peut représenter 20 % de ses revenus. « Une personne au RSA peut venir chercher son enfant à l’école car il ne travaille pas », argue Evelyne Althoffer, l’adjointe à la jeunesse. Comme son homologue du Vaucluse, Franck Briffaut s’est octroyé une augmentation de 15 %, pour un salaire de 3 791 euros.
Le FN n’est pas le seul parti à compliquer la vie des pauvres : à Toulouse, le maire Jean-Luc Moudenc (Les Républicains) a supprimé la gratuité de la cantine pour les 7 000 élèves dont les parents gagnent moins de 1 300 euros mensuels. Même punition à Tours (Serge Babary, LR) pour 1 400 enfants. À Béziers (73 000 habitants, Hérault), ville gérée par le maire apparenté FN Robert Ménard, également soutenu par Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), les enfants de chômeurs sont aussi source d’économies municipales. L’étude surveillée, entre 7 h 30 et 8 h 30, est réservée depuis juin 2014 « aux seuls enfants dont les deux parents travaillent ». Les parents au chômage sont invités à se lever plus tard, quitte à être ensuite stigmatisés pour ne pas faire partie de cette France « qui se lève tôt ».
Depuis les dernières élections municipales de mars 2014, l’extrême droite – FN et Ligue du Sud dans le Vaucluse – administre près d’une vingtaine de municipalités, dans lesquelles vivent 450 000 personnes et où sont employés plus de 6 000 agents territoriaux. Se pencher sur les politiques sociales qui y sont menées permet d’en savoir davantage sur le programme qu’appliquera le FN en cas de victoire lors des élections régionales de décembre. (...)
il n’y a pas que les cantines scolaires. Supprimer la gratuité des transports scolaires est aussi une priorité pour le FN. Cette mesure est proposée par les élus frontistes de l’Aisne. Et mise en œuvre à Hayange (15 700 habitants, Moselle) par le maire frontiste Fabien Engelmann. Celui-ci a confirmé, dès juin 2014, la fin de la gratuité des transports scolaires, déjà remise en cause par son prédécesseur socialiste. Le forfait annuel augmente de 62 % pour un enfant et de 110 % pour le deuxième, soit 80 euros pour deux enfants. Les familles modestes qui vivent en périphérie des villes sont prévenues : vos enfants sont désormais réduits à des lignes budgétaires.
Quant à être enfants d’étrangers… Le jour de la rentrée scolaire 2014, Julien Sanchez, le maire de Beaucaire (16 000 habitants, Gard), s’est plaint de devoir accueillir vingt-deux élèves étrangers en école maternelle et élémentaire, « pour la plupart originaires du Maghreb ou de nationalité espagnole grâce à l’Europe passoire et laxiste en matière de naturalisations ou de droit du sol », clame-t-il. Mesure anecdotique mais révélatrice du peu de cas que fait le FN de l’accès au savoir, à Cogolin (11 000 habitants, Var), la mise à disposition gratuite des dictionnaires pour les élèves a été supprimée. Vive l’ignorance pour tous ! « Le service public, un outil au service de l’égalité », proclamait le programme de Marine Le Pen, lors des présidentielles de 2012. On en est bien loin.
L’arbitraire est désormais la règle
Les centres sociaux, les maisons des jeunes et les associations figurent aussi parmi les cibles privilégiées des édiles FN, sous prétexte d’« économie » et de coupes budgétaires. Le conseil municipal du 7e secteur de Marseille (150 000 habitants, Bouches-du-Rhône), administré par Stéphane Ravier, s’est illustré le 26 juin dernier, en votant contre ou en s’abstenant sur quasiment tous les budgets sociaux proposés. La subvention au « contrat enfant jeunesse » – un cofinancement de structures d’accueil d’enfants ou d’adolescents – crèches, centre de loisirs, associations d’initiation à la musique ou au théâtre – avec la Caisse d’allocations familiales ? Refusée ! Les aides au fonctionnement des centres sociaux ? Refusées ! L’aide à la réhabilitation de logements sociaux ? Refusée ! « Un Marseillais sur quatre, voire sur trois, vit sous le seuil de pauvreté », a déclaré le sénateur maire, fin septembre. Au vu de la politique qu’il met en œuvre dans le 7e secteur, où le taux de chômage avoisine les 25 %, il semble que le FN veuille s’assurer que les Phocéens demeurent bien sous le seuil de pauvreté.
A Fréjus (52 500 habitants,Var), le centre social du quartier de La Villeneuve, un quartier populaire, a été brusquement fermé par la mairie il y a un an, pendant que d’autres centres sociaux voyaient leurs subventions drastiquement diminuées. (...)
L’ensemble du secteur associatif biterrois a perdu un demi-million d’euros de subventions depuis l’élection de Robert Ménard. Cette brutale austérité ne concerne pas d’autres dépenses. Le budget communication de la ville est passé de 193 900 euros à 518 400 euros pour le poste publicité, publications, relations publiques. Si on y ajoute les budgets annexes, consacrés notamment au journal municipal, la mairie d’extrême droite dépense 730 200 euros pour sa communication choc. Avec un tiers de sa population qui vit sous le seuil de pauvreté, Béziers est l’une des villes les plus pauvres de France. Il est bien loin le temps où Florian Philippot, le numéro deux du FN et tête de liste dans la grande région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, déplorait les politiques d’austérité et « de saccage social ». C’est exactement ce que le FN met en œuvre. (...)
Après les centres sociaux, ce sont les clubs de foot associatifs, souvent populaires et – défaut majeur – multiculturels qui sont visés. À Mantes-la-Ville (20 000 habitants, Yvelines), après avoir réduit ou coupé nombre de petites subventions à des associations locales, le maire FN Cyril Nauth s’en est pris au club de foot local, le FC mantois. (...)
Remise en cause des 35 heures, suppression arbitraire de primes, réduction d’effectifs, pressions et menaces à l’encontre des salariés... Le FN, barrage au Medef, vraiment ? « On observe une aggravation des politiques d’austérité, une remise en cause des règles sur le temps de travail et une augmentation de la précarité », commente Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération CGT des services publics. « Ce n’est pas une politique qui améliore les services publics et le sort des agents territoriaux. »
Les syndicats sont la cible de l’ire frontiste
Plus que les politiques néolibérales, ce sont plutôt les syndicats qui sont la cible de l’ire frontiste. (...)
Au regard de ce qui se déroule dans les villes frontistes, deux ans à peine après que le FN y ait pris les rênes, les accents sociaux des discours de Marine Le Pen et de Florian Philippot font définitivement figure de vaste mystification. Une mystification qui ne frappe pas seulement familles modestes, services publics et fonctionnaires territoriaux. À quelques semaines des élections régionales, Pascal Debay prévient : « Il y a une violence politique qui s’installe, une sorte de chape de plomb. »