Un modèle mathématique simple décrit la répartition de la richesse dans les économies modernes avec une précision sans précédent. Et remet en question quelques idées reçues sur le libre marché.
L’inégalité en matière de richesse s’accroît à un rythme alarmant non seulement aux États-Unis et en Europe, mais aussi dans des pays aussi divers que la Russie, l’Inde et le Brésil. Selon la banque d’investissement Crédit Suisse, la part du patrimoine global des ménages détenue par le 1 % le plus riche de la population mondiale est passée de 42,5 à 47,2 % entre la crise financière de 2008 et 2018. (...)
les statistiques de presque tous les pays qui mesurent la richesse dans leurs enquêtes sur les ménages indiquent qu’elle est de plus en plus concentrée.
Bien que les origines des inégalités de richesse fassent l’objet de vifs débats, une approche élaborée par des physiciens et des mathématiciens, dont mon groupe à l’université Tufts, aux États-Unis, suggère qu’elles se trouvent depuis longtemps sous nos yeux – dans une bizarrerie arithmétique bien connue. Cette méthode utilise des modèles de répartition de richesse à base d’agents, fondés sur des transactions deux à deux entre agents ou acteurs économiques, dont chacun cherche à optimiser ses propres résultats financiers. (...)
la stabilité apparente d’un système économique résultant de cet équilibre de l’offre et de la demande entre les différents acteurs est considérée comme un sommet de la pensée des Lumières, à tel point que de nombreuses personnes en sont venues à associer le libre marché à la notion même de liberté. Nos modèles mathématiques, qui sont déroutants de simplicité et qui reposent sur des transactions volontaires, suggèrent cependant qu’il est temps de réexaminer sérieusement cette idée. (...)
En 2002, Anirban Chakraborti, à l’institut Saha de physique nucléaire de Calcutta, en Inde, a introduit ce qui est devenu le « modèle du vide-grenier », ainsi nommé parce qu’il présente certaines caractéristiques de transactions économiques réelles entre deux individus. Il a également utilisé des simulations numériques pour montrer que dans ce modèle, la richesse se concentre inexorablement dans les mains de quelques-uns et fait émerger une oligarchie. (...)
Il a constaté que même si l’on choisit au hasard, par un tirage à pile ou face, le résultat de chaque transaction, la multiplication de ces ventes et achats entraîne inévitablement la concentration de toute la richesse dans les mains d’une seule personne, une situation d’inégalité extrême. (...)