Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Orient XXI
Tant que l’Occident fabriquera des terroristes, il y aura des attentats
Article mis en ligne le 23 août 2017

Avant-hier une bombe explosait à Bagdad, hier des tueurs sévissaient à Londres, aujourd’hui une voiture s’attaque à la police à Paris, et demain ? Quinze ans après le déclenchement de la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis et relayée par la plupart des pays occidentaux dont la France, on compte de plus en plus d’attaques qualifiées de « terroristes ». N’est-il pas temps pour l’Occident de s’interroger sur ses responsabilités, sur l’inefficacité avérée des « solutions » policières et militaires contre le djihadisme et sur sa responsabilité dans la « fabrication des terroristes » ?

En Europe, depuis leur apparition en 2014 au lendemain du début de la campagne aérienne de la coalition dirigée par les États-Unis contre l’organisation de l’État islamique (OEI), les attentats qui lui sont liés ont fait à ce jour 331 victimes, dont 239 en France, 37 au Royaume-Uni, 36 en Belgique, 12 en Allemagne, 5 en Suède, 2 au Danemark.

En Irak, les attentats commis par cette organisation djihadiste font une moyenne de 1 500 victimes chaque année au sein de la population civile, en dehors des combats qui l’opposent à l’armée irakienne et à ses alliés. Dans les autres pays arabo-musulmans touchés par l’OEI et ses filiales locales, même si le bilan est inférieur, il s’agit néanmoins de plusieurs centaines de morts par an, de la Tunisie à l’Afghanistan en passant par le Yémen.

Depuis son lancement à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis (2 993 morts), la « guerre contre le terrorisme » initiée par Georges W.Bush a fait entre 500 000 et un million de victimes, même si elle a aussi et surtout servi de prétexte aux ambitions idéologiques et économiques des néoconservateurs américains alors au pouvoir. Depuis cette date également, on dénombre 544 décès en Europe par attentats djihadistes et 111 aux États-Unis, soit un total de 655. C’est-à-dire que pour 1 000 victimes de cette guerre en Orient, dont quelques-unes seulement sont des djihadistes, il y a une victime en Occident. Discours de propagande de l’OEI ou d’Al-Qaida ? Non, simplement les faits.

LE PRIX À PAYER (...)

Madeleine Allbright, alors secrétaire d’État, avait commenté en 1996 une estimation de la FAO évaluant le nombre des victimes à un demi-million par un « le prix en vaut la peine ». Washington avait déjà réagi à certains de ces attentats, notamment en 1998, par des bombardements en Afghanistan et au Soudan contre des bases d’Al-Qaida.

Depuis plus de quinze ans, l’interventionnisme occidental au Proche-Orient n’est justifié ou déterminé que par cela : « lutter contre le terrorisme ». Mais, faut-il encore le répéter, les moyens employés — intervention militaire et soutien à des régimes répressifs « alliés » à l’Occident — ne font qu’entretenir et renforcer les racines du djihadisme. Rappelons aussi que le terrorisme est un mode d’action, non une entité en soi, ni une idéologie, ni une religion. (...)

La « radicalisation » d’un individu est jugée à travers son adhésion à cette idéologie. Cette approche est en outre défendue en France par des spécialistes en islamologie d’autant plus médiatisés que leur propos entre en résonance autant avec les peurs et fantasmes de la population qu’avec le discours d’une partie de la classe politique française.

Lorsque l’OEI commet des attentats en Irak dans des marchés ou dans des mosquées de quartiers chiites, à quelles « valeurs » s’attaque-t-il ? La liberté ? La démocratie ? Est-ce uniquement parce qu’ils sont chiites, ou d’abord parce que les sunnites ont été marginalisés, voire réprimés en Irak depuis que les chiites sont au pouvoir à Bagdad ? Les attentats de l’OEI en Arabie saoudite, bien réels, mais dont on parle peu, contre des cibles aussi bien sunnites que chiites, visent-ils la liberté et la démocratie ? Ne cherchent-ils pas plutôt, comme Al-Qaida l’a fait avec de nombreux attentats dans le royaume au milieu des années 2000, à déstabiliser la monarchie saoudienne alliée des Occidentaux ? Qui est visé par les attentats contre les églises coptes en Égypte ? Les chrétiens en tant que tels ou, comme l’ensemble des attentats qui se sont multipliés en Égypte depuis le coup d’État de 2013 et qui n’ont pas visé que les coptes, le régime du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi et sa répression sans limites des Frères musulmans et de toute force d’opposition même laïque ?

De même, à quoi les groupes djihadistes du Sahel s’attaquent-ils ? À la liberté , à la démocratie, ou bien à des régimes qui ont laissé pour compte les minorités du désert ? Quant aux éléments algériens du djihadisme dans cette région, ils demeurent l’héritage du coup d’État de l’armée algérienne de janvier 1992 (...)

Comprenons bien qu’en France ou au Royaume-Uni, l’OEI se moque bien de la démocratie, des libertés, des terrasses de bistrot ou de la tenue de concerts de pop stars, bref, de ce que « sont » les Occidentaux. Mais pas de ce qu’ils « font » au Proche-Orient, des milliers de tonnes de bombes qu’ils y déversent, de leur soutien à des régimes qui le combattent ainsi qu’à toute forme d’opposition, même pacifique. (...)

Il ne s’agit aucunement ici de justifier et encore moins d’excuser ces attentats, mais de les replacer dans les contextes qui les provoquent. À leurs déterminants de l’autre côté de la Méditerranée s’ajoutent ceux de la rive nord : les dysfonctionnements du « vivre-ensemble », l’inégalité dans l’insertion dans le monde du travail selon que l’on s’appelle Jean ou Mohammed, l’intolérance devant les différences, particulièrement exacerbée par les discours des partis d’extrême droite à forte audience, et repris par d’autres partis à des fins électoralistes. La discrimination et l’inégalité en fonction de l’origine ethnique sont toujours une réalité.

En France, jadis rampante et à bas bruit mais bien réelle, la stigmatisation des musulmans s’est progressivement accrue dans les années 2000 avec la polémique sur le « voile » islamique, puis l’affaire Mohammed Merah, pour devenir encore plus violente avec les attentats de janvier 2015 contre le journal Charlie Hebdo et le magasin Hyper cacher. Le mécanisme du processus est pourtant simple : racisme et discrimination engendrent au sein de la minorité discriminée des réactions identitaires qui accroissent sa stigmatisation par la majorité dominante, provoquant en retour des réponses plus violentes parmi cette minorité. Et le pont se réalise avec l’appel que des organisations comme l’OEI font aux musulmans vivant dans les pays participant à la coalition qui le bombardent en Orient, pour qu’ils commettent d’eux-mêmes des attentats. L’offre de djihad fait ainsi écho à une demande de djihad. (...)

À la question : le djihadisme s’attaque-t-il en Occident à des valeurs ? La réponse est : pas à celles qui y sont proclamées, mais à la façon dont elles sont appliquées. Que ce soit en Occident ou en Orient, les seules solutions policières et militaires contre le djihadisme conduiront toujours à une impasse et le nourriront toujours davantage. Tant que l’Occident poursuivra des politiques qui contribuent à fabriquer des terroristes « ici » et « là-bas », il y aura des attentats chez tous les promoteurs de la guerre —sans fin — contre le terrorisme.