
Emmanuel Macron, qui pendant des mois a été l’objet de l’intérêt unanime, systématique et complaisant de la presse, jusqu’à être parfois érigé en superstar médiatique, est donc qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle. Un résultat qui n’aura sans doute pas trop fâché dans les principales rédactions nationales… Et certainement pas celle du Monde où le médiateur maison, Franck Nouchi, interpellé par nombre de lecteurs, a dû s’employer pour tenter de démontrer que son quotidien n’aurait pas soutenu le candidat d’En Marche ! Un article d’autojustification, riche en contorsions, dont on ne sait s’il apporte la preuve de l’indépendance farouche du quotidien vespéral ou de l’aveuglante mauvaise foi de son médiateur.
« Nous traitons Emmanuel Macron comme n’importe quel autre candidat », clame Franck Nouchi, citant l’une des deux chefs du service politique du quotidien. Par la voix du journaliste spécifiquement chargé de la couverture de la campagne d’Emmanuel Macron, le médiateur tient à assurer que le candidat d’En Marche « ne bénéficie d’aucun traitement particulier ». Vraiment ? Certes Le Monde se veut un journal d’information et non d’opinion ; certes, il n’a pas officiellement pris parti dans la campagne. Mais le battage médiatique inédit du Monde (avec d’autres) autour d’Emmanuel Macron n’a pu rester sans effet. Il faut y insister : il n’est pas besoin de parti-pris clair et officiel pour qu’un journal contribue à faire le jeu de tel candidat plutôt que de tel autre. Le choix des sujets, l’angle adopté, la mise en image et en « unes » de celui-ci plutôt que de celui-là ou de celle-là sont autant de façons de nourrir l’intérêt du lecteur pour tel candidat plutôt que pour tel ou telle autre. Sans recourir à un complotisme absurde, il faut se souvenir à quel point la couverture par Le Monde du candidat marcheur fut parfois docile sinon stupéfiante, en tout cas sans équivalent pour les autres concurrents (...)
Et que dire du « grand défilé d’Emmanuel Macron », en majesté dans le supplément M Le Monde du 6 décembre 2016, admirable roman photo dont les prodiges de la mise en scène n’eurent d’égal que la complaisance du commentaire – qui mériterait une explication de texte à lui seul, une fois l’hilarité passée ? (...)
Il n’est pas exagéré de dire que l’étude du « cas Macron » atteste que Le Monde est visiblement un journal d’opinion, comme c’est son droit, mais qui préfère le dissimuler quand ça l’arrange. Et si l’on ne peut passer sous silence la dimension pour ainsi dire « qualitative » de la couverture du primo-candidat, l’analyse quantitative va également à rebours du satisfecit que s’octroie le médiateur. (...)
Pour le seul mois de février 2017, on a recensé pas moins de 80 articles dans Le Monde dont le titre incluait le nom du jeune baron du hollandisme. En mars, ce fut même 108 ! En d’autres termes, on est passé de 2 à 3 articles par jour à 3 à 4 articles par jour, moyenne sans équivalent, il va sans dire, pour les autres aspirants à l’Élysée. Et tout cela sans compter les tribunes et autres prises de position de ses soutiens…ou de ses propriétaires. Un journalisme de référence, en somme, manifestement impartial et équilibré. (...)
On comprend mieux, à la lecture de ces articles aussi lyriques qu’ébouriffants, la très récente mise en garde reproduite ci-dessous adressée par Jérôme Fénoglio, directeur du Monde, à ses journalistes face à certains de leurs emportements voire de leurs débordements récents. Résumé des contradictions d’un journal d’opinion qui ne veut surtout pas dire son nom, ces quelques lignes rappellent on ne peut mieux que depuis les « éditoriaux érotiques du Monde en faveur d’Edouard Balladur en 1995 » selon le mot d’Aude Lancelin dans un récent post de blog, jusqu’aux déclarations enflammées à Emmanuel Macron aujourd’hui, le quotidien du soir a souvent transigé, ces vingt dernières années, avec son idéal non partisan d’équilibre et d’indépendance. Et l’on peut concevoir que pour certains encore attachés à un journal historiquement situé plutôt à gauche, le virage brutal à droite des dernières décennies n’aille pas sans état d’âme. (...)
Le Monde roule-t-il pour Macron ? Il lui déroule en tout cas un impressionnant tapis rouge, quoi qu’en dise son médiateur…
Un médiateur en équilibre instable
Encore ne faudrait-il pas accabler Franck Nouchi, condamné – comme d’autres « médiateurs, dans d’autres médias [1] – par le poste qu’il occupe à endosser des positions, sinon des postures, intenables.
Comment un journaliste du Monde – fût-il son médiateur – pourrait-il être le mieux placé pour dire s’il est vrai – ou pas – que le Monde roule pour Macron ? Si la neutralité théorique de la fonction qui est la sienne devrait lui permette de juger en toute impartialité qui des lecteurs mécontents, de l’entourage du candidat Macron ou des journalistes du Monde voient le plus juste, la réponse qu’il apporte n’étonne pas vraiment : peut-on sérieusement imaginer qu’il prenne sa plume pour tancer voire décrédibiliser la rédaction à laquelle il appartient, quelle que soit la réalité du positionnement de son journal ?
Finalement, c’est le rôle même de médiateur du Monde qui semble on ne peut plus contestable, pour ne pas dire chimérique [2]. (...)
c’est d’abord et avant tout l’homogénéité sociale entre l’ex Ministre de l’économie et les journalistes du Monde (en particulier sa chefferie éditoriale) qui sont au principe d’affinités objectives et électives patentes : si le Monde roule pour Macron, c’est surtout que leurs codes sont les mêmes et que le cadre idéologique proposé par Macron est celui auquel le quotidien de référence s’est converti depuis deux décennies au moins. Nul besoin de concertation ou d’injonction préalables cependant : tout se passe comme si tout était déjà pré-accordé et pré-ajusté entre la ligne du Monde, chaque jour un peu plus acquise à la logique des marchés (il suffit de songer au supplément « économie » désormais quotidien), et le très libéral candidat à la présidence de la République.
Des remarques qui valent pour nombre de journalistes macrophiles qui peuplent les rédactions, de L’Obs à Challenges, par exemple…